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11e dimanche ordinaire C - 12 juin 2016
 

La gratuité renversante de Dieu!

Dieric Bouts, Le Repas chez Simon le pharisien, Gemäldegalerie (Berlin).

Dieric Bouts, Le Repas chez Simon le pharisien, Gemäldegalerie (Berlin).

 

 

 

La pécheresse aimante et pardonnée : Luc 7, 36 - 8, 3
Autres lectures : 2 Samuel 12, 7-10.13; Psaume 31(32); Galates 2, 16.19-21

 

Ce dimanche éclaire bien l’année de la miséricorde. La deuxième lecture d'abord, où Paul rappelle aux chrétiens de Galatie le sens de la mort de Jésus: nous révéler la grâce de Dieu (2,21). Et avec grand talent, Luc met en scène cette totale gratuité de Dieu manifestée dans la vie et les attitudes de Jésus.

     Simon le pharisien invite Jésus à souper chez lui. Il est donc ouvert et intéressé. Tout se passe bien, jusqu’à l’arrivée d’une femme considérée comme pécheresse. Prostituée? ou épouse d’un publicain? ou servante chez un officier romain? Chose certaine, elle ne manque pas d’audace en s’imposant ainsi, frémissante d’émotion, avec ses cheveux dénoués et ses gestes déplacés. Plus tard Jésus demande à Simon s'il voit cette femme. Comment ne pas la voir! Mais pour lui elle est un cas déjà classé. C’est Jésus qui intéresse Simon : s’il est prophète, il saura qu’elle doit être évitée. Dommage, Jésus a raté ce test. Il déçoit Simon et ses amis pharisiens, qui ont invité en toute bonne foi ce prédicateur itinérant pour l’entendre et échanger sur Dieu avec lui.

     Jésus ne se préoccupe pas du tout de la femme. En fin de récit il dira à Simon comment il perçoit ses gestes : elle montre amour et reconnaissance pour le pardon reçu. Mais pour l’instant, c’est de Simon que Jésus s’inquiète; c’est à lui qu’il parle, et aux autres convives. Voilà une étrange inversion de la perspective habituelle : la femme est déjà la « brebis retrouvée », et Jésus travaille à ramener des brebis qu’il est en train de perdre. Son accueil de la femme les éloigne de lui.

     Au lieu d’argumenter Jésus propose une parabole. Une bonne histoire, ça garde le dialogue ouvert et ça aide à réfléchir. Jésus invente un banquier improbable, qui annule la dette de ses débiteurs pour une seule raison : ils ne peuvent pas rembourser. Bien sûr, les débiteurs éprouveront reconnaissance et amour pour un tel créancier! Les deux ont des dettes et sont insolvables, les deux sont graciés, les deux en éprouvent de l'amour. Une seule différence entre eux : l’un doit beaucoup, l’autre peu. Normal que la reconnaissance soit proportionnelle à la dette annulée. Simon résout l’énigme facilement.

     Quelle finesse pédagogique de Jésus, avec cette histoire! Car l’annulation des dettes est aussi une image du pardon de Dieu. On le voit dans la version du Notre Père en Matthieu 6 : Remets–nous nos dettes comme nous–mêmes remettons à nos débiteurs. Face à Dieu, nous sommes tous endettés et insolvables. Même le pharisien le plus respectueux de la Loi divine se sait imparfait et pécheur. Évidemment, jamais autant que cette pécheresse! Non, rien de commun entre elle et lui!

     Ici, la stratégie de Jésus fait basculer le regard. “Vois-tu cette femme?” Regarde autrement : elle fait ceci, toi non. Elle fait cela, toi non. Si on le dit dans les mots de la parabole : elle montre bien plus d’amour que toi. Jésus ose donc les associer elle et Simon, en les identifiant aux deux débiteurs de la parabole? Oui. La seule différence qu’il voit entre eux, c’est le degré de reconnaissance qu’ils expriment. Normal : elle avait une grosse dette, celle de Simon est petite. Jésus ne lui reproche rien.

Voilà pourquoi je te dis...

     La parabole fournit donc la clé du récit. Dieu offre son pardon en toute gratuité. Le verbe est éloquent ici : au lieu du classique « remettre » (annuler, effacer), Jésus dit « faire grâce », ce qui souligne bien la gratuité du geste. Les endettés sont « graciés », pas à cause de leur bonne conduite mais par pure grâce. Dieu ne nous enferme pas dans nos dettes et notre passé. Contrairement à ce que pense Simon, le pardon est offert avant même qu’on ait changé de conduite. Il nous ouvre un avenir. À nous de l’accueillir, dans la conscience de nos fautes. Le don reçu nous aidera ensuite à changer.

     La dernière parole de Jésus à Simon donne la même clé : Celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. L’amour, ici comme dans la parabole, vient après, en réponse au pardon déjà donné et reçu. Il faut donc lire ce que Jésus dit à propos de la femme avec cette clé. Non pas « elle est pardonnée parce qu’elle a montré beaucoup d’amour », comme si l’amour méritait le pardon, ce que suggère la traduction. Mais plutôt : elle montre beaucoup d’amour, c’est pourquoi je TE dis, Simon, que ses péchés ont été pardonnés. Jésus voit, dans l’amour qu’elle montre, le signe d’un repentir qui a déjà accueilli le pardon. Finalement il confirmera à la femme ce qu’elle a déjà expérimenté dans son cœur : Tes péchés ont été pardonnés*. Va en paix. Ta foi dans le pardon de Dieu t’a sauvée.

Comme souvent dans Luc, la finale du récit reste ouverte. Jésus a catéchisé Simon. Accueillera-t-il cette Bonne Nouvelle? Dira-t-il comme l’ancien pharisien Paul aux Galates : Je ne vais certes pas rejeter la grâce de Dieu! Changera-t-il son regard sur la femme, sur lui-même, et sur Dieu? Ou restera–t-il drapé dans sa bonne conscience de fidèle qui a si peu besoin de miséricorde? et qui se scandalise de la gratuité de Dieu envers les “vrais” pécheurs? C’est à nous de choisir la suite, et à certains évêques du dernier synode. Comme pour le frère aîné de la parabole : on partage la joie du Père? ou on reste dehors à bouder sa générosité? (Luc 15)

D’autres femmes à voir

     Les versets qui suivent mous apprennent que plusieurs femmes font partie du groupe de Jésus. Elles aussi, Luc nous invite à les voir vraiment. Nos visualisations spontanées des disciples sont très masculines, parce qu'on remplace trop souvent le mot « disciples » par le mot « apôtres », réservé aux Douze. Le verbe qui caractérise les disciples est « suivre », comme l’appel « suis-moi » et les femmes au Calvaire qui le suivaient depuis la Galilée. Quant au verbe « servir », ici c’est le beau diakonéô, utilisé aussi pour Jésus, au milieu de vous comme celui qui sert (22,27). Leur service semble inclure aussi une aide financière.

     Des trois femmes nommées, deux seront témoins du tombeau vide : Jeanne et Marie Madeleine, que Jésus a guérie de sept esprits mauvais. Rappelons que les récits associent toujours les gens possédés aux malades, et non aux pécheurs; Jésus les délivre, i.e. les guérit. Rien n’indique donc que cette Marie soit la pécheresse du récit précédent. Quant à Jeanne, l’épouse d’un fonctionnaire royal, l’a-t-elle quitté pour devenir disciple?

     Enfin Luc ajoute beaucoup d’autres. C’est étonnant que Jésus ait appelé des femmes à devenir disciple, car aucun rabbin n’acceptait de femmes dans son groupe. On déconseillait même de leur enseigner la Torah, sauf le minimum utile pour tenir leur rôle domestique. Ce que fait bien Marthe, dans un autre récit de Luc, alors que sa soeur Marie adopte le rôle du disciple recevant l’enseignement d’un maître (10,38-42). Luc présente plusieurs figures de femmes. Cela reflète probablement ce qu’il a vécu dans les communautés chrétiennes. C’est donc à nous d’y attacher regard et importance, pour nous ouvrir à la catéchèse que Luc transmet à travers elles.

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* Le verbe pardonner est conjugué à un temps qui évoque toujours une action passée durable au présent. Comme « il est écrit » ou « j’ai été envoyé » (4,43). Ici Jésus parle d'un pardon déjà donné.

 

Francine Robert, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2494. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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