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4e dimanche ordinaire C - 31 janvier 2016
 

Retour vers le futur :
L’homélie provocante de Jésus à Nazareth

Synagogue

 

 

Échec de Jésus à Nazareth : Luc 4, 21-30
Autres lectures : Jérémie 1, 4-5.17-19; Psaume 70(71); 1 Corinthiens 12, 31 - 13, 13

 

Adolescent, comme Marty McFly, je me voyais embarquer dans une DeLorean au côté du Doc pour voyager dans le temps. Le film culte des années 80 Back to the future (Retour vers le futur) m’a initié aux questions de paradoxes temporels. Je vous propose d’analyser la question du temps dans la courte et provocante homélie réalisée par Jésus à Nazareth. Ce récit va nous transporter dans le temps pour comprendre comment un texte écrit peut devenir une parole qui libère.

Lire et accomplir Isaïe

     Ce passage de l’Évangile de Luc (4, 21-30) complète celui où Jésus fait la lecture et l’interprétation d’un passage de l’Écriture à la synagogue de Nazareth (4, 16-20). Ce que Jésus y a lu est un texte composite de deux passages d’Isaïe : 61, 1-2 et 58, 6.

L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, proclamer une année d’accueil par le Seigneur (Luc 4, 18-19).

     Après cette lecture, Jésus fait probablement une des plus courtes et percutantes homélies de l’histoire : Aujourd’hui, cette Écriture est accomplie pour vous qui l’entendez.

     Son premier mot, « aujourd’hui », spécifie le moment interprétatif qui a lieu. Il souligne l’immédiateté du propos qui se dit dans le contexte de la communauté rassemblée. Comme prédicateur, Jésus ne souhaite pas expliquer le sens du texte d’Isaïe dans son contexte passé. Non, il recrée le texte pour le moment présent, pour « l’aujourd’hui » de ceux qui l’écoute. Jésus construit quelque chose de neuf à partir d’Isaïe. Son acte interprétatif met au défi la façon traditionnelle de comprendre le texte qu’a entendu cette communauté. La parole de Jésus est orientée dans une direction différente de l’écoute de la communauté.

     Le verbe « accomplir » (pléroô) employé par Jésus est dans un temps appelé parfait. Ce temps de verbe indique qu’une action se complète au moment présent et aura des effets qui se prolongeront dans le temps. Cet accomplissement demande une redéfinition radicale de la mission communautaire : reconnaître les exclus comme les bénéficiaires de l’accueil de Dieu.

     En faisant une relecture d’un texte passé, Jésus présente sa mission. Il a reçu l’onction (fait Christ et Messie) pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, libérer les captifs, rendre la vue aux aveugles et libérer les opprimés. En fait, il s’agit d’une anticipation de l’ensemble du ministère de Jésus qui au chapitre 4 de Luc ne fait que commencer. Mais qui sont ceux et celles que Jésus libère? Ce sont les personnes marginalisées par sa société. Ceux qui souffrent d’un asservissement économique, religieux, politique, physique.

Élie et Élisée : Flash-backs et anticipations

     Jésus reçoit d’abord un accueil favorable : tous lui rendaient témoignage. Pourtant on s’étonne que ce message de grâce sorte de la bouche du fils de Joseph, un ouvrier manuel qui n’est ni prêtre ni rabbin. Puisqu’il s’agit du début de la narration du ministère de Jésus, les lecteurs et lectrices ne l’ont pas encore vu en action. Au contraire, les gens de Nazareth savent tout ce qui s’est passé à Capharnaüm. Ils veulent que Jésus en fasse autant chez eux. Or, Jésus refuse. C’est comme s’il devinait la réaction négative de ses concitoyens ou qu’il voulait provoquer cette réaction.

     Jésus explique son refus par un flash-back vers deux récits au sujet des prophètes Élie et Élisée. Il évoque d’abord une veuve de Sarepta, une non-juive, sauvée de la mort par Élie. Puis, il rappelle le général syrien Naaman qui a été guéri de la lèpre par Élisée.

     En quelques mots, disons que Jésus montre que la grâce de Dieu ne se limite pas aux frontières qu’on tente parfois d’imposer. Dieu s’occupe d’une étrangère et d’un lépreux, deux catégories de personne qui ne pouvaient pas faire partie de cette synagogue à Nazareth. Jésus renverse les attentes traditionnelles. Ceux qui se pensent élus ne le sont pas, au contraire, ce sont les exclus qui prennent leur place.

     La réaction de la foule, marquée par la colère et la violence, montre qu’ils ont compris que Jésus prêche une interprétation différente des Écritures qui est très exigeante. Jésus ne dit rien de moins que leur façon de concevoir le monde doit changer aujourd’hui. Ils doivent donner une place centrale aux pauvres, aux étrangers, aux malades.  

Meurtre de Jésus

     La scène prend un tournant dramatique lorsque Jésus se fait expulser de la synagogue, jeté hors de la ville et mené sur un escarpement. Les Nazaréens cherchent à l’exécuter. Cette image forte anticipe deux autres moments à venir. D’une part, on peut y voir une anticipation du rejet de Jésus par son peuple et de son exécution sur la croix. La passion de Jésus est déjà évoquée, alors que le récit de son ministère ne fait que commencer. D’autre part, cette scène annonce aussi l’expulsion des chrétiens en dehors de la synagogue qui va mener à la rupture progressive entre le judaïsme et ce qui deviendra le christianisme. 

     Heureusement, le récit se termine avec une lueur d’espoir un peu énigmatique : Et lui, traversant au milieu d’eux, alla son chemin. Le chemin de la passion s’en vient, mais celui de la résurrection aussi.

L’aujourd’hui de la foi

     L’accomplissement de la parole de libération faite par Jésus à la synagogue est-elle complétée? Non, c’est aujourd’hui que se joue cet accomplissement. Si Jésus était l’homéliste de ma paroisse, j’aime croire qu’il pourrait nous provoquer de la même manière. Il nous ferait prendre conscience que la libération des personnes opprimées exclues, marginalisées, malades, étrangères est au cœur de la mission de Dieu. Il nous inviterait à sa mission pour vivre en solidarité avec les exclus et pour lutter en faveur de la justice. Il insisterait sur le fait que c’est aujourd’hui même qu’il faut accomplir cette mission. Quelle serait notre réaction à sa prédication? On ne chercherait certainement pas à le tuer, mais probablement que notre indifférence et notre inaction seraient aussi mortifères.

     L’enjeu principal de l’interprétation biblique n’est pas de faire de l’archéologie pour retrouver le sens qu’un texte avait à une certaine époque. Lire les Écritures, c’est surtout comprendre l’aujourd’hui de la foi dans un mouvement vers le futur que nous voulons construire. Le passé, représenté par Élie et Élisée, le présent de la communauté à la synagogue de Nazareth et le futur (nous lecteurs et lectrices du 21e siècle) sont changés par la manière dont Jésus interprète Isaïe. La lecture des Écritures permet de recréer la tradition. Plonger dans nos textes fondateurs nous permet de changer notre « aujourd’hui ». C’est maintenant ou jamais, le temps de retrouver les racines de notre foi pour s’engager à la vivre pleinement. C’est un retour vers le futur.

 

Sébastien Doane, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2475. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Accueillir et proclamer l'Évangile de la miséricorde