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4e dimanche de l'Avent C - 20 décembre 2015

 

Le salut incarné

Vitrail dans la cathédrale SAint-Maclou de Pontoise représentant la visitation.

Vitrail dans la cathédrale Saint-Maclou de Pontoise représentant la visitation.

 

 

 

Marie rend visite à Elisabeth : Luc 1, 39-45
Autres lectures : Michée 5, 1-4; Psaume 79(80); Hébreux 10, 5-10

 

La rencontre de Marie et Élisabeth, connue sous le nom de Visitation dans la tradition chrétienne, est un récit propre à l’évangéliste Luc. Il met en scène deux femmes qui portent en elles le germe du salut apporté par Dieu; un salut qui se déploie dans le secret et la joie et qui est révélé d’abord aux justes, aux humbles et aux petits. Afin de bien comprendre ce court texte, il est nécessaire d’élargir notre perspective en jetant un coup d’œil à l’ensemble du premier chapitre de l’évangile de Luc dans lequel est relatée cette rencontre. Ainsi, en s’intéressant aux personnages que sont Élisabeth et Zacharie et en remarquant le rôle majeur joué par les femmes dans ce premier chapitre, il est possible de bien situer le rôle à venir de Jean le Baptiste et de préciser la nature du salut définitif qui se prépare.

Zacharie et Élisabeth

     L’évangile de Luc ne s’ouvre pas, comme on aurait pu s’y attendre, avec le récit de Joseph et Marie, mais plutôt, après une brève introduction, avec celui de Zacharie et Élisabeth, deux protagonistes que l’on retrouve uniquement dans l’évangile de Luc et seulement dans ce chapitre initial (à l’exception d’une brève mention de Zacharie en Lc 3, 2). Il est peu utile de s’attarder à la question de l’historicité de ces deux personnages, mais beaucoup plus profitable de s’intéresser à la portée théologique de ces figures. Celle-ci se manifeste en effet dans leurs lignées, qui définissent la nature du futur ministère de Jean, et dans leurs noms, qui révèlent la signification et l’ampleur des événements formidables qui s’amorcent. Zacharie est un prêtre (Lc 1, 5) et Élisabeth est une descendante d’Aaron (Lc 1, 5) qui possède le même nom que la femme de ce dernier (Ex 6, 23). En plus de cette ascendance sacerdotale, Zacharie et Élisabeth sont fortement rattachés à la fonction prophétique. Ils habitent tous les deux la région montagneuse (Lc 1, 39.65), lieu privilégié des expériences prophétiques (voir par exemple Moïse au Sinaï en Ex 19 ou Élie à l’Horeb en 1R 19). De plus, Zacharie porte le nom d’un prophète-prêtre de l’Ancien Testament particulièrement intéressé par les temps messianiques (voir entre autres Za 7-14) et se met lui-même à prophétiser, en Lc 1, 76, après avoir recouvré la parole. Ces deux personnages sont donc fortement liés à la fois à la classe sacerdotale et à la fonction prophétique et cette double appartenance annonce la nature du ministère à venir de Jean. Il sera à la fois un prêtre, qui baptisera en vue de la rémission des péchés (Lc 1, 77; 3, 3), et un prophète, qui marchera devant Dieu avec la puissance d’Élie (Lc 1,17), sera appelé prophète (Lc 1,76) et parlera au nom de Dieu (Lc 3,2).

     Le nom des parents de Jean Baptiste possède également une valeur programmatique. En hébreu, Zacharie signifie « Dieu s’est souvenu » et Élisabeth, « mon Dieu a promis ». Que ces noms proviennent de sources historiques fiables employées par Luc ou qu’il s’agisse de pures créations littéraires, ils rappellent d’une manière ou d’une autre l’histoire passée du peuple d’Israël et son espoir en une intervention puissante et définitive de Dieu. Que l’évangile de Luc s’amorce avec l’histoire de Dieu-s’est-souvenu et de Mon-Dieu-a-promis annonce que ce temps d’attente tire maintenant à sa fin. Comme il se souvint de Noé et des occupants de l’arche après le déluge destructeur (Gn 8, 1) et comme il se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob au temps de la servitude du peuple hébreu en Égypte (Ex 2, 24), voici que Dieu se souvient de la promesse de salut faite à son peuple. Et comme pour Noé, les occupants de l’arche et le peuple soumis à l’esclavage des Égyptiens, Dieu va intervenir avec force et apporter le salut. C’est donc un événement grandiose qui se prépare; un événement qui surpassera cependant de manière incroyable toutes les interventions passées de Dieu et toutes les attentes possibles du peuple.

Des femmes en avant-plan     

     L’ensemble de l’évangile de Luc donne beaucoup de place aux femmes et commence précisément par un récit où les deux principaux personnages sont des femmes. Bien que le premier personnage actif de l’évangile de Luc soit Zacharie, celui-ci fait plutôt mauvaise figure lorsqu’il est comparé à sa femme. En effet, lorsque l’ange de Dieu lui annonce la naissance d’un fils, il doute et se demande comment cela sera possible (Lc 1, 18) alors que sa femme se réjouit de la situation (Lc 1,24-25). De plus, Zacharie est réduit au silence (Lc 1, 20) alors qu’Élisabeth reconnait à haute voix l’action de Dieu pour elle (Lc 1, 25) et que, plus loin, elle poussa même un grand cri en voyant la mère de Jésus (Lc 1 ,42). De son côté, Joseph ne joue aucun rôle dans le premier chapitre de l’évangile de Luc et s’efface complètement devant la figure de Marie. Or, la structure du texte de Lc 1 révèle qu’il est plus pertinent de comparer Zacharie à Marie, car il s’agit de deux personnages que l’on peut placer en parallèle. Ils sont tous deux récipiendaires d’une apparition angélique (Lc 1, 11.26-27) et sont tous deux troublés par cette vision (Lc 1, 12.29). L’ange les enjoint à ne pas avoir peur (Lc 1, 13.30), leur annonce la naissance miraculeuse d’un enfant (Lc 1,13.31), les instruit du nom que devra porter cet enfant (Lc 1, 13.31), affirme que cet enfant sera grand (Lc 1,15.32) et décrit le destin de chacun (Lc 1,15-17.32-33). Et chaque personnage questionne ensuite l’ange (Lc 1, 18.34). Mais encore une fois, Zacharie parait mal devant cette femme, car il est le seul à craindre l’ange (Lc 1, 12) et est réduit au silence alors que Marie s’en remet à la volonté de Dieu (Lc 1, 19.38). Tout le premier chapitre de Luc est donc un récit qui place les femmes en avant-plan. Et la Visitation est la rencontre de deux femmes qui acceptent dans la foi et la joie l’arrivée du salut.

Un salut différent

     Que l’évangile de Luc s’amorce avec le récit de deux femmes qui sont l’objet de conceptions miraculeuses révèle plusieurs choses au sujet du salut qui arrive enfin. Il s’agit tout d’abord d’un événement extraordinaire qui est mis en valeur par le caractère étonnant de ces deux grossesses. Celle d’Élisabeth, qu’on appelait la stérile (Lc 1, 36), rappelle l’histoire de Sarah (Gn 18, 1-15) et tient certainement du miracle. Mais celle de Marie, qui vient de l’intervention de l’Esprit Saint (Lc 1, 35), est une chose encore plus remarquable qui ne s’était pas vraiment produite auparavant. Ces deux grossesses représentent également deux extrêmes opposés : celle d’une femme si vieille qu’elle n’attendait plus d’enfant depuis longtemps et celle d’une femme si jeune qu’elle n’avait pas encore connu d’homme. Elles démontrent que le pouvoir de Dieu couvre tout, du plus vieux au plus jeune, et que rien n’est impossible dans la réalisation du plan de Dieu pour l’humanité. Elles annoncent aussi que le salut qui se prépare englobera tout, pas seulement le peuple juif, mais toute l’humanité.

     Bien que le salut qui s’amorce soit grandiose, il se manifeste et est accueilli tout d’abord non pas par les grands et les puissants, mais par deux humbles femmes. Plusieurs juifs de l’époque espéraient l’arrivée d’un messie fort et redoutable qui allait se manifester de manière éclatante et ostentatoire et massacrer tous les adversaires d’Israël aux yeux de toutes les nations. Mais le récit de Luc fait intervenir un salut qui arrive dans la discrétion et est reçu par les petits et les humbles : deux femmes (Lc 1, 5-80), des bergers (Lc 2, 8-18), un vieil homme juste (Lc 2, 25-35) et une vieille prophétesse (Lc 2, 36-38).

     Mais plus important encore, le rôle prééminent joué par Marie et Élisabeth dans l’amorce de l’évangile de Luc met l’emphase sur l’incarnation du salut à venir. Il ne s’agit pas d’un salut inaccessible, où Dieu interviendrait de manière distante, mais d’un salut personnel et personnifié, d’un salut intime, si proche qu’il se fait chair. En s’incarnant ainsi dans le sein de ces deux femmes, le salut se fait humain et, par le fait même, se retrouve également en chacun de nous.

 

Francis Daoust, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2469. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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