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3e dimanche de Pâques B - 19 avril 2015

 

Le Christ ressuscité envoie les Apôtres en mission

Sur la route d'Emmaüs 1516-1517. National Gallery de Londres

 

 

L'apparition aux disciples d'Emmaüs : Luc 24, 35-48
Autres lectures : Actes 3, 13-15.17-19; Psaume 4; 1 Jean 2, 1-5

 

Cet enseignement de Jésus se situe à la toute fin de l’Évangile de Luc, lors de la dernière apparition, tout juste avant le récit de l’ascension. En fin conteur, Luc avait habilement ficelé le suspense qui mène jusqu’à cette apparition finale de Jésus. Dans le récit de Luc, les femmes avaient en effet découvert un tombeau vide et reçu un message étonnant de la part de deux figures angéliques (Lc 24,1-11). Puis Pierre était accouru au tombeau et n’y avait trouvé que les bandelettes et s’en était retourné, stupéfait (Lc 24,12). Et enfin Jésus était brièvement apparu aux deux disciples d’Emmaüs uniquement pour disparaitre mystérieusement au moment même où ceux-ci le reconnurent (Lc 24,13-35). La table est donc mise pour le récit de l’apparition finale de Jésus que le lecteur de l’Évangile de Luc attend avec curiosité et impatience. Que signifient en effet ce tombeau vide, ces bandelettes et cette apparition soudaine aux deux disciples d’Emmaüs? Toute la mise en scène échafaudée par Luc met en valeur l’importance de l’événement qui s’en vient et le caractère solennel de l’enseignement final que Jésus s’apprête à livrer.

C’est moi, le Ressuscité

     Mais avant de transmettre cet enseignement final, Luc s’assure de bien établir qui s’adresse aux Onze : Voyez mes mains et mes pieds; c’est bien moi! (Lc 24,39a). L’homme qui se présente devant eux est bien le même Jésus avec qui ils ont cheminé depuis la Galilée jusqu’à Jérusalem. Mais en mettant l’emphase sur les mains et les pieds (transpercés) de Jésus, Luc canalise aussi l’attention de ses lecteurs sur ce qui est maintenant différent de ce Jésus. L’homme qui se tient à ce moment parmi eux a connu la passion, la souffrance et la mort, mais aussi la résurrection. Ce n’est plus « seulement » Jésus qui vient maintenant vers eux, mais le Ressuscité qui s’est donné en plénitude dans son Incarnation et dans son amour pour l’humanité et qui, à travers la résurrection, a été justifié par le Père. C’est ce que nous rappellent la lecture du livre des Psaumes : Sachez-le, Dieu met à l’écart [du danger] celui qui est pieux et entend celui qui crie vers lui (Ps 4,4); et celle du livre des Actes : Le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus (Ac 3,13b). La résurrection vient donc légitimer tous les enseignements que Jésus a transmis à ses apôtres dans le passé et met l’emphase sur l’importance du message que le Ressuscité s’apprête à leur livrer.

Un Christ entier

     Si Jésus demande de la nourriture aux apôtres, ce n’est évidemment pas parce qu’il n’a pas mangé depuis trois jours et qu’il est affamé! Par cette demande, Luc souhaite exprimer que le Christ ressuscité n’est pas un simple esprit. Il faut se rappeler que Luc s’adresse principalement aux nouvelles communautés chrétiennes qui sont issues du monde grec. Comparativement, on sait que dans la pensée grecque, le corps et l’esprit sont deux composantes de l’être humain séparées et foncièrement différentes; le corps est une sorte de prison provisoire et essentiellement corrompue dans laquelle l’esprit éternel et pur réside temporairement. Or, dans la pensée sémitique, le corps et l’esprit sont indissociables et font tous deux partie intégrante de la personne. Ainsi, pour les Juifs, la résurrection touche la TOTALITÉ de l’être humain. Le Christ qui apparaît au milieu des Onze, prémisse de notre propre résurrection, n’est donc pas un simple esprit, mais un être complet, à la fois corps et esprit. La résurrection qui nous est promise ne fera pas de nous des fantômes intangibles, ni des zombies sans cervelle, mais des êtres bien humains qui n’ont rien perdu de leur nature, et qui, touchés par la grâce de Dieu, sont maintenant prêts pour la vie en plénitude. Et dans le cas du Christ, on comprend que la résurrection ne l’a pas dépossédé de son humanité, pas plus que l’Incarnation ne l’avait privé de sa divinité.

La réalisation des Écritures

     Maintenant que Luc a bien établi l’identité et l’autorité du Jésus bien incarné qui s’adresse aux apôtres, il peut livrer le message tant attendu. La première chose que le Ressuscité leur explique touche à la réalisation des Écritures. Jésus affirme en effet qu’il faillait que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes (Lc 24,44d). Cette désignation tripartite sert à englober l’ensemble du Premier Testament qui tend, tout entier, vers l’événement définitif et exceptionnel qu’est la résurrection du Christ. Le terme grec qui est employé afin de désigner cette réalisation des Écritures est le verbe plèroô, qui signifie « remplir, accomplir, rendre complet ». Malgré son caractère étonnant et exceptionnel, la résurrection du Christ n’est donc pas une innovation absolue à laquelle personne ne pouvait s’attendre, mais l’aboutissement d’un long processus préexistant. Elle s’enracine dans une profonde et précieuse tradition spirituelle qui la précède et qui lui donne tout son sens. Ainsi, le Premier et le Nouveau Testament s’éclairent et s’enrichissent l’un l’autre : c’est avec le Premier Testament que l’on comprend toute la signification et toute la portée de la résurrection du Christ dans le Nouveau Testament; et c’est avec la résurrection du Christ dans le Nouveau Testament que la longue route – complexe, tortueuse, remplie d’embûches, de succès, de tragédies et de grandes joies – parcourue par le peuple de Dieu arrive enfin à destination.

Une transformation de la pensée

     Jésus ouvre alors l’intelligence des apôtres pour qu’ils comprennent les Écritures où il était annoncé que le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour et qu’en son nom, on proclamera la conversion en vue du pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem (Lc 24,46c-47). Le thème-clé de cette affirmation est celui de la conversion qui est, d’une part, la conséquence de la résurrection du Christ prophétisée par les Écritures et qui, d’autre part, permettra la rémission des péchés. Luc reprend exactement le même raisonnement, dans la première lecture tirée du livre des Actes, lorsque Pierre explique à la foule que Dieu a ressuscité Jésus (Ac 3,15), selon ce qui était annoncé dans les Écritures  (Ac 3,18). En conséquence, la foule est appelée à se convertir (Ac 3,19a) afin que ses péchés soient effacés (Ac 3,19b). Pour désigner cette conversion, Luc emploie le nom metanoia (Lc 24,47) et le verbe metanoéô (Ac 3,19). Ces deux termes que nous traduisons habituellement par « conversion/se convertir » proviennent de la préposition meta « transformation/changement » et du nom nous « pensée/intelligence/raison » et décrit donc, littéralement, une « transformation de la pensée ». Jésus avait ouvert l’intelligence (nous) des apôtres pour qu’ils comprennent les Écritures (Lc 24,45) et cette intelligence doit maintenant être transformée afin de conduire au pardon des péchés. Ainsi, la rémission des péchés n’est pas un processus transcendant qui se réalise indépendamment de l’être humain. Au contraire, elle passe impérativement par le croyant qui est appelé à vivre un profond changement intérieur et à parvenir à une compréhension différente du monde et de l’histoire du salut. Le croyant n’est pas là à regarder, les bras croisés, le spectacle de la rémission des péchés! Il doit y participer activement en changeant sa façon de comprendre la souffrance et la mort de Jésus. C’est ce changement, provoqué par la résurrection de Jésus, qui mène au pardon des péchés et non la résurrection à elle seule. Sans cette transformation intérieure du croyant, il ne saurait y avoir de rémission des péchés.

     Ainsi, à l’opposé des chefs, des soldats et du malfaiteur qui se moquaient de Jésus sur la croix et qui cherchaient à le ridiculiser en l’enjoignant à trois reprises à se sauver lui-même (Lc 23,35.37.39), se tient le croyant qui a transformé sa pensée en comprenant que Dieu a non seulement justifié et sauvé ce Jésus, mais que sa souffrance, sa mort et sa résurrection sont le point d’aboutissement tant attendu qui vient parfaire toutes les Écritures.

 

Francis Daoust, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2443. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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L'apparition du Ressuscité