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11e dimanche ordinaire B - 14 juin 2015

 

Étonnante croissance

Semence

 

 

 

La semence qui pousse d'elle-même : Marc 4, 26-34
Autres lectures : Ézéchiel 17, 22-24; Psaume 91(92); 2 Corinthiens 5, 6-10

 

Pourquoi Dieu semble-t-il absent? Pourquoi ne voit-on pas de signe de son action? Pourquoi ce que Jésus a promis, l’arrivée du Règne, ne se réalise-t-il pas? Ce genre de question habitait vraisemblablement la toute jeune Église de Rome à laquelle s’adresse l’évangéliste Marc. Celui-ci cherche à y répondre en rapportant deux paraboles de Jésus qui abordent un même thème, la croissance du Royaume, chacune avec son caractère propre. La première (vv. 26-29) insiste sur l’aspect mystérieux de la venue du Royaume, l’autre (vv. 30-32) sur son étonnante progression. À la suite des paraboles arrive une conclusion sur la manière pour Jésus de communiquer son message à ses disciples (vv. 33-34).

Développement autonome

     La première parabole indique que le royaume de Dieu porte sa propre force de développement qui le conduira à son achèvement final. Il s’agit d’un processus autonome, comme celui de la germination, puis de la croissance de la plante qui donnera un épi et finalement du blé. Le cultivateur n’a pas besoin de se préoccuper de la semence; elle porte en elle tout ce qu’il faut pour se développer et arriver à maturité. Il en est de même pour le Royaume : il n’y a pas lieu de chercher à en saisir le fonctionnement ou de s’en inquiéter outre mesure. Même si rien n’est apparent, il progresse, à son propre rythme et à sa façon. Pour l’Église de Rome, qui vivait sous la menace constante de tourments ou même de persécution, ces propos devaient apporter un certain réconfort. Après deux mille ans, ils sont peut-être encore plus pertinents pour nous. Avons-nous encore raison d’espérer la venue de ce Royaume ? Les signes de sa venue ne sautent vraiment pas aux yeux… Il semble même au contraire que la foi chrétienne régresse un peu partout dans le monde.  L’évangéliste Marc nous rappellerait sans doute le semeur : il ne lui sert à rien de chercher à imposer son rythme à ce qu’il a mis en terre dans l’espoir de récolter du blé!

     La première parabole se termine avec la mention de la faucille qui intervient car c’est le temps de la moisson. La même image apparaît dans le livre du prophète Joël (4, 13) pour désigner l’heure du jugement. L’évangéliste Marc n’a pas hésité à la reprendre pour évoquer la fin du processus de croissance du Royaume, le moment où celui-ci parviendra à son achèvement. Elle était sans doute familière aux premiers lecteurs de l’évangile.

Du plus petit au plus grand

     Pour la deuxième parabole, Jésus recourt encore à une scène du monde végétal. L’insistance ici est le contraste entre la petitesse de la graine de moutarde et la grandeur de la plante qui en résulte. Sur le strict plan biologique, la description n’est pas vraiment exacte, puisqu’il existe des graines plus petites que celles d’un moutardier. De plus, il est peu probable qu’une graine de moutarde puisse produire un arbre permettant à des oiseaux d’y faire un nid. Mais c’est le propre du procédé de la parabole que de chercher à étonner par ses exagérations, ses conclusions inattendues et parfois invraisemblables. Elle sert à frapper l’imagination afin de rester gravée dans les esprits. Jésus était un maître dans l’art de manier la parabole; nous en avons un bel exemple ici.

Lentement, mais sûrement

     Contrairement à la parabole dite du semeur (Marc 4, 1-9), la nature du sol n’importe pas ici. L’insistance porte sur l’autonomie du développement de la semence qui possède en elle-même son potentiel de croissance. Cette différence de point de vue ne vient pas contredire la parabole du semeur, mais la compléter. Dans le cas des paraboles de ce dimanche, il faut supposer que la semence est tombée dans une bonne terre : sinon, elle ne serait tout simplement pas parvenue à terme. C’est une manière de mettre en perspective le rôle de celui ou celle qui accueille la Parole : il suffit de lui offrir un « terreau fertile », une écoute favorable, puis de faire confiance. Même si les effets n’apparaissent pas immédiatement, de façon fulgurante, la parole poursuit son œuvre, lentement mais sûrement. Elle le fait mystérieusement, dans le silence et de manière invisible,  mais avec un potentiel de croissance insoupçonné.

Et les oiseaux?

     Le regretté Jean Delorme, spécialiste de l’Évangile selon saint Marc, formule une remarque intéressante à propos de oiseaux dans cette parabole (L’heureuse annonce selon Marc, Paris/Montréal, Cerf/Médiaspaul, 2007, p. 304). Ceux-ci, en effet, jouent ici un rôle différent de celui qui leur est réservé dans la parabole du semeur alors qu’ils viennent picorer la semence avant que celle-ci ait le temps de germer. Ils apparaissent donc, pour ainsi dire, comme le malin qui vient entraver la diffusion de la Parole. Ici, en Marc 4, 30-32, ils font plutôt leur demeure dans ce qui a été le résultat de la croissance de la semence. Manifestement, ils ont évité de se précipiter sur les graines pour s’en nourrir et, finalement, sont récompensés pour la patience, puisqu’ils peuvent s’abriter dans les branches de la plante. Peut-on y voir un message d’espoir : même ce qui agit pour le mal peut se convertir pour le bien? Ou : tout vient à point à qui sait attendre?

     D’autres commentateurs suggèrent que tous les oiseaux qui viennent faire leur nid dans le moutardier représentent la multitude des nations. La parabole aurait donc une composante universaliste, une allusion à l’ouverture du salut aux païens, à entendre les gens qui ne font pas partie du peuple de la première Alliance. Bien que cette interprétation n’est pas à exclure, elle ne s’impose pas non plus, puisque le message porte ici davantage sur le caractère mystérieux et étonnant de la croissance du règne de Dieu.

     La manière dont Jésus amorce cette parabole est intéressante. Il pose deux questions : « À quoi pouvons-nous comparer le règne de Dieu? Par quelle parabole allons-nous le représenter? » Le Christ semble vouloir ici faire participer son auditoire au processus de représentation du Royaume. Et il invite à le faire sur le mode comparatif (comparaison, parabole) plutôt que descriptif, conscient sans doute du caractère insaisissable, mystérieux de la réalité à laquelle il veut nous initier.

Une réalité pour aujourd’hui

     La venue du Royaume est inévitable. Il n’y a pas lieu de s’impatienter ou de se décourager de ne pas en voir de signes perceptibles. Mais ce n’est pas non plus une réalité pour le futur uniquement; il est déjà en croissance aujourd’hui dans le monde. À nous de le préparer, de chercher à le dire dans nos mots, avec nos images, d’en faire découvrir tout le potentiel à notre monde.

« Jésus leur annonçait la Parole »

     En conclusion, l’évangéliste rappelle la « méthode Jésus » : l’emploi de paraboles (vv. 33-34). Et il distingue deux « publics » : les gens en général, à qui le Seigneur « annonçait la Parole », et ses disciples à qui « il expliquait tout ». Ceux qui ont choisi de le suivre, qui se sont attachés à lui, sont donc en mesure d’aller plus loin, d’approfondir l’enseignement que le Maître leur communiquera.

« Il produira des branches »

     Le choix d’Ézéchiel 17, 22-24 comme première lecture se comprend bien étant donné la mention de toutes sortes d’oiseaux qui viendront habiter à l’ombre du cèdre que le Seigneur a planté sur une montagne d’Israël. L’accent porte ici davantage sur l’efficacité de l’action de Dieu dans le monde. Le prophète s’adresse alors à la communauté juive exilée à Babylone. Sa situation s’apparente à celle de l’Église de Rome à qui l’évangéliste Marc s’adresse. Exilés à Babylone ou chrétiens à Rome, ils vivent des heures difficiles leur époque respective, dans un monde où Dieu peut leur sembler absent, indifférent ou impuissant. Comme Jésus, Ézéchiel exhorte les siens à ne pas se décourager, à faire preuve de patience et à maintenir vivante leur espérance.

« Nous sommes en exil »

     Saint Paul parle aussi d’exil dans la deuxième lecture, mais sur un registre plutôt symbolique. Il évoque une forme d’aliénation, qui déchire la personne intérieurement et l’éloigne du Seigneur. L’apôtre invite aussi les siens à ne pas céder au découragement et rappelle qu’il n’est pas trop tard pour se rependre en main.

 

Jean Grou, bibliste

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2451. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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