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3e dimanche de l'Avent B - 14 décembre 2014

 

Une mise en place nécessaire

Témoins de la lumière

Témoin de la lumière (photo Y. Guillemette)

 

 

Jean, témoin de la lumière : Jean 1, 6-8.19-28
Autres lectures : Isaïe 61, 1-2.10-11; Cantique : Luc 1, 46-50.53-54; 1 Thessaloniciens 5, 16-24

 

Incontournable et encombrant à la fois, les premiers chrétiens furent sans doute un peu embarrassés par le personnage de Jean le Baptiste. Incontournable puisque, contemporain du Christ, il fut ce grand prophète dont Jésus lui-même a fait l’éloge (Mt 11,7-15; Lc 7,24-28), acceptant même de se faire baptiser par lui au Jourdain. Et l’on soupçonne que plusieurs disciples de Jésus auront été préalablement adeptes du Baptiste et continuèrent sans doute à le tenir en haute estime après la mort de ce dernier. Encombrant cependant, car il risquait de porter ombrage à la foi naissante de l’Église. En effet, au temps de l’écriture des évangiles (deuxième moitié du premier siècle), il subsistait des communautés de disciples se réclamant de Jean le Baptiste, considérant ce dernier comme le messie et continuant de pratiquer le baptême de conversion qu’il prêchait. Ces communautés baptistes – qui ont survécu jusqu’au 3e siècle de notre ère - sont en quelque sorte en compétition avec les premières communautés chrétiennes. Il fallait donc, pour l’Église primitive et les évangélistes, mettre les choses en perspective, affirmer la supériorité de Jésus et du baptême chrétien sur Jean et son baptême de conversion. Écarter toute ambiguïté sur la messianité de Jésus, bien situer le rôle de Jean Baptiste par rapport à Jésus tout en lui sauvegardant une place de choix, voilà la tâche d’équilibriste à laquelle chacun des évangélistes s’emploie en début d’œuvre.

Témoin de la Lumière

     Jean, l’évangéliste de ce dimanche, n’échappe pas à cette tâche délicate. Il s’y attaque dès le prologue qui ouvre son évangile - dont nous lisons trois versets en ce dimanche – dans lequel il positionne d’emblée le personnage de Jean le Baptiste comme le « témoin » de la lumière véritable que sera Jésus. Ce rôle, il ne tardera pas à le jouer car, dès le prologue terminé, son témoignage devient bien concret devant cette commission des « Juifs »1 de Jérusalem venus l’interroger. Quoi de mieux pour écarter toute ambiguïté sur le personnage du Baptiste que de le laisser lui-même décliner son identité : dire ce qu’il est et surtout, ici, ce qu’il n’est pas!

Ce qu’il n’est pas…

     Les trois choses qu’il dit ne pas être – ni le Messie, ni Élie, ni le grand Prophète - trahissent les diverses attentes messianiques circulant à l’époque de Jésus.

     Le titre de Messie est associé à cette croyance la plus répandue, à savoir que le Seigneur devait susciter un descendant de David pour devenir roi et chasser l’occupant romain de la terre promise. Appelons ce type d’attente messianique, le messianisme temporel ou royal. À l’époque de Jésus - doit-on le rappeler? – il y plus de 600 ans qu’Israël est privé de son indépendance et que la dynastie davidique est interrompue, soit depuis que sa terre fut conquise par les Babyloniens (vers 587 av. J. C.), pour passer ensuite successivement aux mains des Perses (538 av. J. C.), des Grecs (333 av. J. C.) et des Romains (63 av. J. C.).  Dans un tel climat de frustrations et de tensions, on peut aisément comprendre que l’espérance juive se soit cristallisée autour de cette prophétie divine transmise par le prophète Nathan à David qui lui promettait une dynastie éternelle (2 S 7,12-17). Il fallait bien qu’un fils de David remonte un jour sur le trône, car Dieu ne peut pas ne pas tenir promesse.

     La mention d’Élie est associée quant à elle à cette croyance de l’eschatologie juive selon laquelle le prophète Élie devait revenir, dans les derniers temps, pour inaugurer et préparer la venue du Messie. Cette croyance et d’autres légendes concernant Élie s’alimentaient au récit du Deuxième livre des Rois décrivant, non pas la mort de ce dernier, mais bien son enlèvement au ciel sur un char de feu (2 R 2,11). Si donc Élie n’est jamais mort, il pourrait revenir. C’est du moins ce qu’annonçait le livre prophétique de Malachie, écrit cinq siècles av. J. C. (Ml 3, 1.23). À noter qu’en niant être cet Élie « revenu », le quatrième évangile contredit l’interprétation du personnage de Jean qui est faite par les évangélistes Matthieu et Marc. Ces derniers en effet identifient le retour d’Élie avec le passage sur terre de Jean le Baptiste (Mt 11,14 et Mt 17,10-13, Mc 9,11-13 et peut-être aussi Lc 7,27).

     Reste ce grand Prophète que Jean dit ne pas être non plus. Ce titre trahit une autre sorte d’attente messianique, plus spirituelle celle-là, s’appuyant sur la prophétie de Moïse au livre du Deutéronome où ce dernier entrevoit le jour où Dieu suscitera un prophète tel que lui (Dt 18,15-18). Voilà celui qu’on désigne par ce titre de « grand prophète ». Non pas un roi temporel, mais un prophète, un nouveau Moïse qui renouvellerait le judaïsme. Les mouvements de ces juifs retirés au désert (Esséniens, communauté de Qumran), entretenaient sûrement ce type de messianisme. Et il est fort probable que ces mouvements un peu plus marginaux du judaïsme aient alimenté la spiritualité de Jean.

Ce qu’il est

     Après avoir décliné tout ce qu’il n’était pas, la même commission somme Jean de dire enfin qui il est. Pour s’auto-présenter, Jean cite lui-même le prophète Isaïe (Is 40,3), se décrivant comme la voix qui crie au désert pour préparer le chemin au Seigneur. Au temps d’Isaïe, cette voix consolante est celle du héraut qui crie la bonne nouvelle d’une délivrance prochaine de la grande épreuve que fut pour Israël l’exil d’une partie du peuple à Babylone au 6e siècle avant J. C. Au seuil des temps nouveaux, Jean Baptiste devient ce nouvel héraut annonciateur de la Bonne Nouvelle d’un Dieu qui vient sauver définitivement le peuple de ses enfants, par l’arrivée de Jésus, le Messie-Sauveur. Le « recyclage » de cet extrait d’Isaïe pour définir la mission Jean Baptiste comme précurseur de Jésus semble une tradition bien établie de l’Église naissante, vue son utilisation unanime chez nos quatre évangélistes.

Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas…

     Mine de rien, voilà la façon dont Jean affirme l’identité messianique de Jésus! En effet, cette « tenue cachée » du Messie encore inconnu au sein du peuple qui surgirait soudainement, se manifestant aux yeux de tous, constituait une légende populaire de l’époque agrémentant les attentes messianiques. En même temps, de désigner Jésus comme « celui que vous ne connaissez pas » devant « les Juifs », annonce déjà ce refus des autorités juives de reconnaître l’origine divine de Jésus, rejet déjà annoncé par l’évangéliste au prologue de son évangile : Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu (Jn 1,11).

Un chemin d’Avent

     Pour nous aujourd’hui, à quelques jours de célébrer la naissance du Christ, comment recevons-nous ce témoignage de Jean le Baptiste ? En lieu et place de cette traditionnelle ligne homilétique qu’empruntent souvent les prédicateurs en ce dimanche de l’Avent, nous invitant, à l’exhortation de Jean le Baptiste, à préparer le chemin de nos cœurs à l’arrivée du Seigneur, j’en proposerais une autre. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas, nous dit Jean. Entre la célébration de sa venue historique et l’attente de sa venue glorieuse, tension dans laquelle nous tient particulièrement ce temps liturgique de l’Avent, n’avons-nous pas à discerner sa présence au cœur du monde, là même où nous ne le soupçonnons pas, histoire de renouveler notre espérance ?

__________

1L’expression « les juifs » dans le 4e évangile, utilisée plus de 60 fois, comporte une signification habituellement péjorative bien singulière à l’évangéliste Jean. Elle ne désigne pas la nation juive comme telle - car Jésus était juif et ses disciples aussi – mais sont qualifiés de « juifs », dans cet évangile, ceux qui refusent de croire en Jésus, ses opposants en quelque sorte. L’évangéliste, prenant la peine ici de nous préciser que les interlocuteurs de Jean Baptiste sont envoyés par des « Juifs » de Jérusalem, on peut deviner que le climat en est un de suspicion à son égard.

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source : Le Feuillet biblique, no 2425. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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