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Dimanche des Rameaux A - 13 avril 2014

 

Aller jusqu'au bout

 

La trahison de Judas : Matthieu 26, 14 - 27, 66
Autres lectures : Isaïe 50, 4-7; Psaume 21(22); Philippiens 2, 6-11


Une seule fois par année la liturgie nous permet d’entendre deux lectures évangéliques au cours de la même célébration, lors du Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur. Laissons de côté les considérations historiques et théologiques qui ont pu mener à une telle situation. Intéressons-nous plutôt au résultat.

Contraste

     La lecture des deux récits offre un saisissant contraste. Dans le premier, Jésus est, pourrait-on dire, au sommet de sa gloire, accueilli comme une star dans la capitale nationale. Dans le second, il se retrouve dans la déchéance la plus complète, ridiculisé, trahi par l’un, renié par l’autre, torturé puis mis à mort. La combinaison de ces deux épisodes en tous points opposés révèle tout le caractère dramatique et unique du destin du Christ. Celui-ci aurait pu tabler sur sa popularité d’un jour et surfer sur les acclamations du peuple. Il aurait alors cédé à la troisième des tentations dans le désert, lorsque le diable lui fait miroiter tous les royaumes du monde avec leur gloire (Matthieu 4, 8). Mais il a choisi d’emprunter la voie la plus difficile, la seule qui lui a permis d’aller jusqu’au bout. Pour en arriver là, il a dû passer par la Passion, dont nous avons le récit cette année dans la version de l’évangéliste Matthieu. Revisitons-le en nous attardant à ce qu’il révèle de celui que nous allons acclamer comme le vainqueur de la mort durant la Veillée pascale.

« Pour la multitude »

     La première partie du récit raconte les derniers moments de Jésus entouré de ses disciples. Le Christ apparaît comme maître de la situation, parfaitement conscient de ce qui se passe et se passera, en pleine possession de son destin. Il serait encore temps de reculer, de se cacher, de dire qu’il en a déjà fait bien assez et qu’il est temps de passer à autre chose. Mais non : ce n’est pas dans sa nature. Pas question de dévier de sa trajectoire, aussi redoutable soit-elle. Pour bien marquer le caractère décisif et irrévocable du moment, il pose un geste tout simple auquel il donne une remarquable intensité dramatique : la fraction du pain et le partage du vin en signe du don de son corps et de son sang. Il en souligne le caractère définitif en prononçant ces paroles solennelles : Désormais je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je boirai un vin nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. Conscient qu’il va très bientôt perdre la vie, il choisit de donner celle-ci pour la multitude.

Pour accomplir les Écritures

     Après le repas, Jésus et les disciples partent en direction du mont des Oliviers. Chemin faisant, il leur dit : Cette nuit, je serai pour vous tous une occasion de chute; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. Un thème récurrent du récit de la passion de Matthieu apparaît ici : Jésus est celui par qui les Écritures s’accomplissent. Son arrestation, sa condamnation et sa mort infâmes ne sont pas des accidents de parcours, des erreurs de l’histoire. Pour employer une expression populaire : c’était écrit dans le ciel. Non pas que Dieu avait prévu de toute éternité envoyer son Fils se faire massacrer, mais parce que l’amour inconditionnel de Jésus pour les pécheurs, les faibles et les marginaux allaient inévitablement le conduire à un sort tragique. Ça ne saurait être le fruit du hasard. Le scandale de la croix sera la révélation suprême de tout l’amour de Dieu pour l’humanité.

« Tristesse et angoisse »

     La scène qui se déroule à Gethsémani est sans doute l’une des plus dramatiques de tous les évangiles. Jésus est en compagnie de ses amis, mais il fait l’expérience d’une grande solitude sur le plan humain : personne n’arrive à demeurer éveillé pour le soutenir dans sa tristesse et son angoisse. Il demeure cependant entièrement tourné vers son Père dont il perçoit la présence dans cette absence. Il lance vers lui à trois reprises une sorte de cri de détresse : Mon Père, s’il est possible…  Nous avons ici une des rares fois où le Christ exprime lui-même ses sentiments : Mon âme est triste à en mourir. Son côté fragile et vulnérable apparaît clairement dans ces quelques lignes. La Passion n’est pas un simulacre de souffrance et d’épreuve : Jésus l’a vécue dans sa chair et dans ses os, comme nous-mêmes l’expérimentons dans notre quotidien parfois pénible.

Contre la violence

     Ce que Jésus redoutait survient ensuite : une foule s’amène pour l’arrêter. À partir de ce moment, tout signe de détresse ou d’angoisse disparaît chez lui. Il semble presque serein. À un compagnon qui cherche à prendre sa défense, il rappelle que la violence engendre la violence. Lorsqu’il rappelle que son Père pourrait mettre à sa disposition « douze légions d’anges », faut-il voir un clin d’œil à la deuxième tentation qu’il a repoussée dans le désert (Matthieu 4, 5-7) ? Même en situation réelle de danger, il refuse d’emprunter cette voie.

Deux interrogatoires

     La scène suivante se déroule sur deux plans avec la comparution de Jésus devant Caïphe et le reniement de Pierre. Matthieu fait ressortir le caractère absolument injuste du procès. L’issue en est toute tracée : on veut le faire condamner à mort. En réponse à la question du grand prêtre qui demande s’il est le Messie, Jésus va encore plus loin et cite un passage du livre de Daniel (7, 13) joint à un extrait du Psaume 109, 1. Il n’en faut pas plus pour l’accuser de blasphème. Pendant ce temps, Pierre, dans la cour du palais, subit lui aussi un interrogatoire. Mais lui demeure sur la défensive et déclare ne pas connaître « cet homme ».

Un tournant dans l’histoire

     Puis, les événements se précipitent. On amène Jésus devant Pilate, Judas se suicide, la foule réclame la libération de Barabbas, les soldats maltraitent le condamné, celui-ci porte sa croix, aidé de Simon de Cyrène. Sur la croix, le Christ est soumis à une nouvelle tentation : se sauver lui-même, « car il a dit : Je suis le Fils de Dieu ». De nouveau résonnent ici les paroles du tentateur dans le désert : Si tu es le Fils de Dieu… La scène du tremblement de terre et des morts qui sortent de leurs tombeaux est propre à Matthieu. Elle s’inspire de certains oracles prophétiques qui décrivent en ces termes la venue des derniers temps. La mort de Jésus marque en effet un tournant décisif dans l’histoire humaine.

Le Christ serviteur

     Durant la Semaine sainte, la liturgie nous donne l’occasion d’entendre tour à tour les quatre chants du Serviteur, ces poèmes extraits de la deuxième partie du livre d’Isaïe. Le troisième de ces chants (Is 50, 4-7) est lu chaque année en première lecture du Dimanche des Rameaux et de la Passion. La tradition chrétienne a rapidement identifié ce mystérieux Serviteur au Christ Jésus. On le décrit en effet comme imprégné de la parole de Dieu, victime de la bêtise humaine mais toujours confiant dans le secours du Seigneur. Autant de traits qui caractérisent Jésus marchant vers la croix. Comme le Serviteur, il ne s’est ni dérobé ni révolté. Il a même demandé à un de ses compagnons de ranger son épée.

Abaissement et relèvement
(Ph 2, 6-11)

     Comme la première lecture, la deuxième est toujours la même d’une année à l’autre pour le Dimanche des Rameaux et de la Passion. L’hymne aux Philippiens proclame l’abaissement et le relèvement du Christ Jésus qui a pris « la condition de serviteur », allusion probable au personnage de la première lecture. Dans son récit de la Passion, l’évangéliste Matthieu souligne bien que le Christ a refusé de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu. C’est le cas notamment dans cette même scène où il écarte l’idée de faire appel à son Père qui pourrait envoyer plus de douze légions d’anges à son secours. Il devait en être ainsi pour que Dieu l’élève au-dessus de tout et lui confère le Nom qui surpasse tous les noms.

 

Jean Grou, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2399. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Une mort pour la vie