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29e dimanche ordinaire A - 19 octobre 2014

 

Laisser Dieu être Dieu

 

L'impôt dû à César : Matthieu 22, 15-21
Autres lectures : Isaïe 45, 1.4-6; Psaume 95(96); 1 Thessaloniciens 1, 1-5

 

Pour la quatrième semaine consécutive, en lisant l’Évangile selon saint Matthieu, nous contemplons Jésus en train d’enseigner dans le Temple de Jérusalem, où il est entré au début du chapitre 21. Dans son enseignement, Jésus discute avec les autorités religieuses de son temps. Au 26ème dimanche, Jésus proposait aux chefs des prêtres et aux anciens du peuple la parabole des deux enfants (Mt 21,28-32). Le dimanche suivant, s’adressant aux mêmes personnes, il racontait la parabole des vignerons homicides (Mt 21,33-43). Dimanche dernier, Jésus se remit à parler en paraboles (Mt 22,1), pour comparer cette fois le Royaume des cieux à un roi qui célébrait les noces de son fils (Mt 22,1-14).

     Dans le passage que nous lisons ce dimanche, deux choses ont changé. Les interlocuteurs de Jésus d’abord. Après les chefs des prêtres et les anciens du peuple, nous passons aux pharisiens. De plus, la dynamique est différente. Dans les trois récits précédents, Jésus avait l’initiative et amorçait le dialogue. Ce jour-là les pharisiens se concertèrent pour voir comment prendre en faute Jésus en le faisant parler (Mt 22,15).

Les Pharisiens

     Quand nous entendons le nom « pharisiens », nous pensons tout de suite à des gens malhonnêtes. D’ailleurs, Jésus répondra à leur demande en les traitant d’hypocrites (Mt 22,18), comme il l’avait déjà fait plus haut dans l’Évangile de Matthieu (15, 7). Qui étaient donc ces pharisiens ? Ils « formaient une sorte de parti religieux caractérisé par un zèle très apparent pour les choses de Dieu. Ils exigeaient pour eux-mêmes et pour les autres une obéissance rigoureuse à la Loi et aux traditions explicatives qui l’accompagnaient » (TOB). « L’interprétation différente que Jésus donne de la Loi et sa fréquentation des pécheurs ne pouvaient que susciter chez eux une opposition dont les Évangiles, surtout Mt, ont gardé maints échos » (note de la BJ 1998 en  Mt 3,6). Il faut cependant être prudent. En effet, « la polémique lancée par Mt contre les successeurs des pharisiens a influencé très négativement le jugement porté sur eux. Jésus a cependant eu des relations amicales avec certains d’entre eux » (note de la BJ 1998 en Mt 3, 6). Paul lui-même était pharisien avant sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas.

     Dans l’épisode de ce dimanche, ils sont nettement hostiles à Jésus. Ils cherchent à le prendre en faute : Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode (Mt 22,16). Cette association est surprenante, surtout si l’on considère la question que ces envoyés posent à Jésus : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? (Mt 22,17). « Partisans de la famille régnante d’Hérode, les Hérodiens étaient favorables aux Romains et, donc, opposés aux zélotes. Les Pharisiens, eux, tenaient la présence romaine pour un châtiment de Dieu et insistaient sur la piété personnelle » (note de la TOB 2011 en Mt 22,16). Rien de mieux pour rapprocher des frères ennemis que d’avoir un adversaire commun. Leur opposition à Jésus réunit ici pharisiens et hérodiens.

Jésus est mis à l’épreuve

     Dans leur tentative de prendre Jésus en défaut, les envoyés commencent par le complimenter. Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne fais pas de différence entre les gens (Mt 22,16).

     Il ne faut pas que l’ennemi soit sur ses gardes, autrement impossible de le prendre en défaut. Mais Jésus n’est pas dupe de leur jeu. Sa réponse est dure : Connaissant leur perversité, il riposta : “Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ?” (Mt 22,18).

     Il met en pratique ce qu’il a ordonné aux Douze au moment de les envoyer en mission : Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc adroits comme les serpents, et candides comme les colombes (Mt 10,16).

     Jésus sait bien que la question de l’impôt à l’empereur est une arme à deux tranchants. S’il répond qu’il n’est pas permis de le payer, Jésus joue le jeu de ceux qui espéraient un messie politique, le fils de David qui mettrait enfin les Romains à la porte. Cela irait contre tout ce qu’il a fait et enseigné jusqu’ici dans l’Évangile. « Constamment, Jésus a refusé de suivre la voie du messianisme politico-religieux qui n’était pas celle de son messianisme et risquait de voiler l’aspect universel de sa mission » 1. Ses adversaires « cherchent à enfermer Jésus dans un dilemme : ou il répond par la négative, et il est facile de le dénoncer à l’autorité romaine ; ou il répond par l’affirmative et alors, aux yeux du peuple qui attend une libération nationale, il perd tout crédit et renonce à se poser comme le Messie venant réaliser ses espérances » 2.

     Comme toutes les fois où il est mis à l’épreuve, Jésus s’en tire avec brio et trouve le moyen de mettre la réponse sur les lèvres de ses adversaires plutôt que sur les siennes. Montrez-moi la monnaie de l’impôt… Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? (Mt 22,19.20). Ils n’ont d’autre choix que de répondre : De l’empereur César (Mt 22,21). Ce qui permet à Jésus de fournir sa réponse : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Mt 22,21).

Ni opposition, ni confusion mais distinction des pouvoirs

     Cette phrase est si connue qu’elle risque d’avoir perdu son sens. Dans le contexte d’aujourd’hui, on serait tenté d’y voir une déclaration de principe : séparation entre l’Église et l’État, entre le politique et le religieux. Cela est impensable dans le contexte de Jésus et celui de la communauté de Matthieu, qui vivaient dans un monde où il existait une union étroite entre le politique et le religieux. Pour les gens de l’époque, « tout pouvoir, en définitive, vient de Dieu »3. L’ordre dans lequel Jésus nomme les deux pouvoirs est important. Il nomme d’abord celui de César, mais conclut par celui de Dieu. Il proclame ainsi « la priorité et la primauté de Dieu sur César ».4

     Comment pouvons-nous interpréter la réponse de Jésus dans le contexte du vif débat sur la laïcité de l’État québécois ? Comment pouvons-nous mettre cette parole de Jésus en application ? Parce que nous sommes des femmes et des hommes de foi, cette parole nous appelle d’abord et avant tout à choisir Dieu et son Royaume dans le quotidien de nos vies. « Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est s’engager dans une vie  de foi dont le pôle d’attraction est le Royaume et marcher sur les traces de Celui qui a suivi la voie de la souffrance et de la mort pour passer dans le monde nouveau »5.

     Dans un deuxième temps, nous pouvons aussi imiter Jésus, qui a toujours refusé la tentation du messianisme politique. Bien sûr, notre Église a le droit d’exister chez nous. Elle a et doit continuer d’avoir pignon sur rue dans le Québec du 21ème siècle. Mais elle doit aussi refuser la tentation du pouvoir. Son rôle n’est pas d’imposer l’Évangile, mais de le proposer avec ferveur en marchant sur les traces du Christ. Comme lui, laissons Dieu être Dieu. Nous pourrons ainsi témoigner du Royaume et l’offrir tout simplement aux hommes et aux femmes de notre temps qui ne connaissent pas Dieu.

___________________

1 Paul de Surgy, « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Mt 22,15-21 », dans Assemblée du Seigneur, N.S. 40 (1975), p. 17.
2 de Surgy, « Rendez à César ce qui est à César », p. 19.
3 de Surgy, « Rendez à César ce qui est à César », p. 21.
4 de Surgy, « Rendez à César ce qui est à César », p. 21.
5 de Surgy, « Rendez à César ce qui est à César », p. 23.

 

Yvan Mathieu, SM

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2417. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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Le banquet du Roi