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Solennité de la Croix glorieuse - 14 septembre 2014

 

La Croix glorieuse, un heureux paradoxe

 

Le fils médiateur et le jugement : Jean 3, 13-17
Autres lectures : Nombres 21, 4-9; Psaume 77(78); Philippiens 2, 6-11

 

Une fête de la « Croix glorieuse » ? Pensez-y un peu. Le signe de la cruauté de l’Empire romain pour les malfaiteurs véhiculerait un message positif ? C’est l’Himalaya du paradoxe! Et pourtant, les paradoxes, nous en gérons chaque jour. Notre vie en société doit souvent harmoniser des situations contradictoires à première vue. En économie, nous devenons familiers avec les paradoxes.  Depuis quelques années, nous regardons en face le problème de l'accumulation des déchets. Prévoir le recyclage devient un maillon obligé de la chaîne globale de production.  Une condition de prospérité!

Vision globale ?  Une nécessité!

     Nous avons élargi notre champ de vision en économie. Dans le domaine de la foi, notre pensée n'est pas toujours globale. Comment faire tenir ensemble toutes les dimensions de notre existence, autant positives que négatives ? La Croix glorieuse va nous remettre en piste. Car des faits bien concrets de notre vie nous empoisonnent l'existence. Nous ne savons pas toujours quoi faire de ces réalités. Je pense à nos déceptions, à nos souffrances. La souffrance, peut-on en faire quelque chose ? Et le mal, et le péché ? Est-ce une infirmité spirituelle qu'il faut se cacher à soi-même, comme on se cachait autrefois un handicap ?  Nous sommes vraiment embarrassés avec notre imperfection, notre souffrance, notre culpabilité.

     Des gourous du bien-être égoïste nous parlent avec abondance de ce que nous pouvons résoudre avec nos « pouvoirs secrets » et notre volonté. Si je n'ai pas encore ce que je voulais, c'est ma faute, parce que je n'ai pas voulu assez fort! Je pourrais donc faire disparaître tout ce qui est désagréable. La réalité nous rattrape vite. Nous nous heurtons toujours à des maladies, des infidélités, des trahisons, des malheurs, des catastrophes qui nous empoisonnent l'existence. Nous avons beau parodier Tartufe, en disant : « Cachez ce mal que je ne saurais voir », le mal existe encore, comme les vieux pneus qui ont longtemps dormi au bout des terres à bois de mes oncles cultivateurs...

Voir large comme Dieu

     Osons regarder en face le panorama de la vie humaine. Le païen ne sait pas où mène la souffrance. Bien différente est la proposition de notre foi. Notre foi propose une intégration de la souffrance dans le grand cadre de la vie. La souffrance, la tristesse, la mort ne nuisent en rien à notre dignité. Elles nous invitent à voir plus grand que nous, à lever les yeux vers la source de notre salut, à changer de perspective.

     Ainsi s'inscrit dans notre vie la pertinence de cette fête de la Croix glorieuse. Le paradoxe du peuple qui lève les yeux vers le serpent de métal élevé devant lui, dans la première lecture (Nombres 21, 4b-9), est éclairant. Il préfigure le mystère du Christ abaissé avec son plein consentement et relevé par la grâce de Dieu. Ce mystère est évoqué dans la deuxième lecture (Philippiens 2, 6-11) et dans l'évangile : Nul n'est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel… (Jean 3, 13).

     Le point de vue de Dieu sur la vie inclut la souffrance dans le tableau d'ensemble. Il sait le bien que nous pouvons accomplir quand nous répondons à ses signes d'alliance, et le mal que nous pouvons aussi décider de faire en restant loin de lui. Nous sommes ainsi les héritiers du peuple hébreu qui a vu sa liberté déraper. Après la traversée du désert et le don de la loi à Moïse sur le mont Sinaï, la route de l'alliance n'a pas toujours été douce, droite et lumineuse. Le peuple a souvent oublié Dieu (Nombres 21, 4-5). Il s'est détourné de sa lumière. Il s'est abaissé dans le péché.  Mais Dieu offre en son Fils une élévation possible du regard (Jean 3, 14-15). L’horizon du péché ne limitera jamais l’action de Dieu. Il faut oser regarder ce Fils humilié humainement par l'élévation en croix (Ph 2, 8), puis relevé divinement par l'élévation en gloire (Ph 2, 9-11).

Contempler la miséricorde affichée en croix

     La fête de la Croix glorieuse invite à regarder notre vie dans son ensemble. Cela nous permet de regarder le mal en face. Il devient l'occasion d'un changement, d'une réponse positive aux appels à vivre en enfants de Dieu transfigurés, libérés, sauvés.  L'expérience d'Israël, évoquée en-tête de l'évangile (Jean 3, 14), invite à combattre le mal en y faisant face, en étant renvoyé à la source du mal : soi-même!

     En levant les yeux vers le serpent de bronze, le serpent de métal, dressé en étendard, les Hébreux au désert regardaient directement la cause de leur souffrance (Nb 21, 8-9) : l’illusion quant aux bénéfices de la vie d’esclaves en Égypte. Et ils étaient renvoyés à la contre-productivité de leur révolte contre Dieu. Aux sentiments réels au fond de leur cœur (Nb 21, 7). En levant les yeux vers Jésus en croix, nous sommes confrontés au mal qui nous ronge, qui nous tue. La croix nous révèle à nous-mêmes, avec nos œuvres de ténèbres.  Jésus est en croix, parce des gens comme nous l'y ont placé. Si Jésus semble nous regarder de haut, ce n'est pas pour nous juger (Jn 3, 17).

     C'est essentiel de garder présente dans notre conscience cette réalité du mal et de la souffrance. C'est l'originalité du christianisme. Notre religion, notre confiance en Dieu, notre avenir avec Dieu ne sont pas remis en question lorsque le mal ou la souffrance surviennent. Avec le Dieu de Jésus Christ, l'erreur comme la souffrance ne sont jamais cachées, reniées, voilées.  Elles sont transformées par la grâce de Dieu. Dieu est « riche en miséricorde », dit le titre d'une lettre encyclique de Jean Paul II. Il écrit : « Croire dans le Fils crucifié équivaut à croire que l'amour est présent dans le monde et que cet amour est plus puissant que toutes les sortes de mal dans lesquels la personne, l'humanité et le monde sont impliqués » (Dives in misericordia, 7).

     Comment cette merveille est-elle possible ? Tout simplement parce que ce qui était perçu dans le judaïsme comme une malédiction est changé en signe de salut, de bénédiction. Dans la mentalité juive, selon le livre du Deutéronome (21, 23), un homme pendu au bois devait être détestable aux yeux de Dieu. Mais voilà que son propre Fils vit cette mort dégradante. L'écart est immense, infini entre le bien absolu qui est l'héritage de cet égal de Dieu et le mal absolu que lui font subir les hommes en le rejetant. Jésus fait le pont entre ce mal absolu et le bien absolu de l'héritage des enfants de Dieu. La souffrance des hommes et des femmes cesse d'être un blocage sans espérance.

     La croix était un supplice dégradant, elle devient un passage vers la gloire du Créateur. La croix était une mise à mort, elle devient passage vers la vie nouvelle. La croix était une condamnation, elle devient passage vers la justice de Dieu.  « La croix nous révèle notre foi et notre non-foi. Comme jadis le serpent. Ces serpents qui mordent des esclaves fugitifs du désert les rendent aussi vulnérables. Ne faut-il pas revenir en arrière ?  Mais l'Égypte était aussi un serpent « brûlant » avec ses hauts-fourneaux. Le serpent de métal est le miroir de leurs doutes et de leurs risques. En somme, ces signes nous donnent à penser, et à croire. Nous y lisons principalement la foi de Dieu qui a tant aimé le monde qu'il s'est engagé à ses côtés.  Ce monde n'était ni beau ni aimable. Il l'est devenu par le bon vouloir de celui qui a cru en sa capacité à fabriquer de l'éternité » (Signes 93, p. 28).

 

Alain Faucher, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2412. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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