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1er dimanche de Carême A - 9 mars 2014

 

Choisir la patience et la confiance

 

Jésus tenté au désert : Matthieu 4, 1-11
Autres lectures : Genèse 2, 7-9; 3, 1-7; Psaume 50(51); Romains 5, 12-19


On entend souvent dire : Jésus, lui, ne pouvait pas être tenté. Le problème vient du sens qu'on donne au vocabulaire de la tentation: désirer quelque chose qui est mal, ou interdit, ou mauvais pour nous. Or on ne conçoit pas que Jésus puisse avoir été incliné au mal, donc « ça ne le tente pas ». Pourtant l'Épître aux Hébreux affirme : Puisqu'il a lui-même souffert en étant tenté, il peut secourir ceux qui sont tentés. En lui nous avons un grand-prêtre capable de compatir à nos faiblesses, car il a été tenté comme nous en toutes choses, mais sans pécher (2,18; 4,14-15).

     Les récits de Jésus tenté au désert ne sont ni une fantaisie théologique, malgré leur style irréel, ni la démonstration d'une impassibilité supérieure. Trois Évangiles proposent de réfléchir à cette expérience de Jésus et d'en tirer une catéchèse pour nous-mêmes. En grec, leur vocabulaire évoque aussi la mise à l'épreuve, le test. Jésus applique à Dieu un verbe semblable: Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. Pourtant Dieu n'est pas enclin au mal, mais on peut vouloir le mettre à l'épreuve, le « tester ». Et nous disons dans le Notre Père : Ne nous soumets pas à la tentation, même si Dieu ne peut pas nous inciter au mal (Mt 6,13). Mais il peut nous faire passer un « test ». C'est le sens de l'expérience de Jésus évoquée dans ces récits : mené là par l'Esprit, il est vraiment mis à l'épreuve. C'est la vérité profonde de son être, ses options fondamentales, qui sont testées ici.

Le tentateur : Adversaire et Diviseur

     Dans le livre de Job, le satan, membre de la cour céleste, propose à Dieu de tester la foi de Job. Il le fait si durement qu'il donne l'impression de vouloir plutôt détourner Job de sa foi en Dieu. La tradition voit donc en lui l'Adversaire de Dieu et des croyants. Le texte grec du Premier Testament traduit satan par dia-bolos: le Diviseur. Nom bien choisi pour celui qui, comme le serpent de la Genèse, cherche à séparer l'humanité de Dieu. Mieux encore: alors que le mot adversaire (satan) marque la distance, l'extérieur de nous, le nom diviseur (diable) exprime aussi la division interne. Ça se passe en nous, dans le débat intérieur qui commence dès que plusieurs options valables s'offrent à nous, certaines plus « tentantes » que d'autres. Ce test de nos valeurs profondes fait  émerger nos tensions internes et nos contradictions non résolues.

     Jésus n'a pas échappé à ces tensions, ces hésitations face à des choix difficiles. Le récit utilise partout le nom diabolos (et non démon comme le Lectionnaire), sauf à la fin: c'est à l'Adversaire, satan, que Jésus donnera l'ordre de partir. Ses choix sont enfin devenus clairs et décisifs pour lui. Il a réussi le test, surmonté l'épreuve... jusqu'à la prochaine situation de crise.

Ce qui est offert : bon ou mauvais ?

     Le mal fait partie de notre perception de la tentation. L'objet tentant est mauvais ou interdit. Mais pourquoi le pain serait-il mauvais ou interdit après un long jeûne ? Ne demandons-nous pas à Dieu de nous donner le pain de ce jour ? Et on admirera l'abondance créée à partir de presque rien dans le récit de la multiplication des pains. Ensuite, désirer ressentir la présence du Dieu protecteur, quoi de plus naturel pour un croyant ? C'est bien la prière du Psaume 4 : Quand je crie, réponds-moi, Dieu de ma justice, Fais lever sur nous la lumière de ta face. Même chose quand nous demandons Que ton Règne vienne! Finalement, c'est la royauté du Christ que nous proclamons dans cette espérance du Règne de Dieu. Tous les royaumes de la terre inspirés et guidés par le Fils, n'est-ce pas cela, le rêve de Dieu pour nous ? L'humanité enfin rassemblée dans la communion avec Lui ?

     Ce qui est offert à Jésus n'est pas en soi mal ou mauvais. Cela concerne le coeur même de sa mission. Le problème réside plutôt dans les moyens et les délais. L'offre réelle que le récit met en scène, c'est tout et tout de suite! On bascule dans l'imaginaire, la pensée magique; c’est justement le style littéraire du récit. Jésus évalue l'ambiguïté des moyens à utiliser pour accomplir sa mission. Pour une si juste cause, la révélation du salut que Dieu offre, ne doit-il pas employer les grands moyens? Nul besoin d'un diable réel pour penser parfois que la fin justifie les moyens...

     C'est bien là la vraie tentation de Jésus, l'épreuve qui le guette toute sa vie. Les pharisiens lui demandèrent un signe venant du ciel pour le mettre à l'épreuve (Mt 16,1). Jésus dit à Pierre: Arrière, Satan! Tu es pour moi occasion de chute (16,23). Pierre veut juste lui éviter le rejet, la souffrance, la mort. Pas tenté, le Fils de Dieu? Ou bien plus tenté que quiconque ? et par ses fidèles ! Puisque dans notre imaginaire, il pourrait éviter les détours patients de l'histoire réelle et les lents processus de conversion. Choisir les raccourcis du merveilleux, forcer les cheminements humains trop incertains. Et enfin détruire le mal qui défigure le monde. Jusqu'en croix il entendra la 2e tentation : Il met en Dieu sa confiance; que Dieu le délivre s'il l'aime! (Mt 27,42).

Il met en Dieu sa confiance

     Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu, répond Jésus à cette tentation. Tu ne demanderas pas de preuve à Dieu, comme en réclamait le peuple au désert: Le Seigneur est-il avec nous, oui ou non ? (Dt 6,16; Ex 17). Faire confiance à un Dieu impalpable, qui ne nous délivre pas de la fragilité et des limites, malgré le Psaume 91: Il donnera pour toi des ordres à ses anges, ils te porteront sur leurs mains... Ce Dieu a mené son peuple au désert pour le mettre à l'épreuve et connaître le fond de son coeur. Il l'a affamé puis nourri de la manne, pour lui apprendre que l'homme ne vit pas de pain seulement mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu (Dt 8,2-3). Comme Moïse Jésus a jeûné quarante jours. Et comme lui, sur une haute montagne il visualise des terres promises inaccessibles. Testé sur son désir de tout contrôler, il refuse de payer le prix du pouvoir: 1'oubli de Dieu et l'idolâtrie. Moïse a déjà averti Israël contre ces deux dérives (Dt 6,12-13; Ex 32).

     Notre récit évoque donc l'épreuve d'Israël au désert, que Jésus a mieux réussie. Essentiellement, c'est le test de la confiance en Dieu. Au désert, lieu de fragilité et de peur, qui efface nos repères familiers et rassurants, l'épreuve est réelle et concluante: Jésus choisit de faire confiance à Dieu, d'assumer pleinement sa condition humaine et ses moyens limités, lents, patients.

Confiance en l'humanité, malgré le serpent
(1ère lecture : Gn 2, 7-9; 3, 1-7a)

     Pourquoi ne sommes-nous pas des dieux ? La suggestion du serpent trouve toujours en nous un imaginaire complice. On se méfie du don immense et gratuit : Dieu garde-t-il pour lui le plus important ? Pourquoi sommes-nous limités plutôt que tout-puissants ? L'épreuve ressemble un peu à celle de Jésus. Et nous ratons souvent ce test.

     La confiance de Jésus en Dieu, i.e. son refus d'agir lui-même comme un Dieu, me révèle aussi la confiance de Dieu en l'humanité. Une humanité encore et toujours capable de l'accueillir librement, sans être manipulée par les moyens douteux de la puissance. Le Dieu patient fait confiance à nos lents cheminements. Il espère que nous lui ferons confiance nous aussi.

 

Francine Robert, bibliste

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2394. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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