Alléluia!
Aujourd'hui les cieux s'ouvrent pour nous!
Le baptême de Jésus : Matthieu 3, 13-17
Autres lectures : Isaïe 42,1-4.6-7; Psaume 28(29); Actes 10, 34-38
D'année en année, nous avons l'impression d'entendre toujours le même récit du baptême de Jésus. Pourtant, les différences entre les récits de Matthieu, Marc et Luc sont intéressantes et significatives. En l’année liturgique A, le récit de Matthieu (Mt) nous propose cette Bonne Nouvelle : dans les événements de la vie et de la Pâque de Jésus, les cieux se sont ouverts pour nous.
Une démarche surprenante
Nous sommes au début de la vie publique de Jésus de Nazareth. Pourtant, Matthieu oriente tout son récit à partir de la fin glorieuse de cette vie humaine : la révélation du Seigneur ressuscité.
Tout d'abord sa venue surprend : Matthieu emploie le verbe « survenir » plutôt que le traditionnel « venir ». Puis il nous précise que Jésus poursuit un but, un projet déterminé : se faire baptiser par Jean. L'échange entre Jean et Jésus est propre à Matthieu. Il place Jean en opposition, comme un obstacle au projet de Jésus. Mais Jésus sait ce qu'il faut faire, et c'est lui qui décide : Laisse-moi faire... alors Jean le laisse faire. En quelques mots Matthieu a renversé la position normale de leadership. Se faire baptiser, normalement, c'est suivre un chemin ouvert par un prédécesseur. Les apparences sont trompeuses, nous dit le récit. Celui qui baptise l'autre, ici, n'est pas l'initiateur, ni le plus grand des deux. L'initiative appartient à Jésus, c'est lui qui contrôle la situation. Jean doit entrer dans son projet et y collaborer.
Même brève, cette introduction produit l'effet recherché par l'auteur: la démarche de Jésus n'est pas « normale », elle surprend. En réalité, elle ne surprend que des lecteurs chrétiens qui perçoivent déjà Jésus comme Christ et Fils de Dieu. La réaction de Jean nous représente, il parle en notre nom: ce Jésus Seigneur n'a pas besoin d'un baptême de repentir. C'est même en lui et par lui que nous sommes tous baptisés! Que vient-il faire là? accomplir ce qui est juste, nous dit Matthieu. Jésus s'ajuste au projet de Dieu, il devient l'un de nous jusqu'à accompagner nos démarches de conversion.
Bien des chrétiens pensent que Jean le Baptiste savait dès le début qui était vraiment Jésus. Cette perception nous vient des Évangiles de Matthieu et de Jean. Mais rien n'était évident pour le Baptiste, comme on le voit en Matthieu 11, 2-3, lorsqu'il envoie des disciples interroger Jésus sur son identité. L'aventure de l'Incarnation a engagé cet homme Jésus, devenu pour nous le Seigneur ressuscité, sur un chemin opaque et humble, sans évidence et sans gloire. Il faudra nous en souvenir pour la suite du récit.
Cinémascope, haut-parleur, effets spéciaux!
La théophanie qui suit le baptême est vraiment impressionnante. La comparaison avec le récit de Marc (1, 9-11) met en valeur la mise en scène à grand déploiement présentée par Matthieu. Voici que des gens présents à la scène auraient pu voir les cieux s'ouvrir, comme un phénomène physique, et entendre une voix venue du ciel s'adressant à eux pour leur désigner Jésus : Celui-ci est... Alors que chez Marc, c'est Jésus qui voit et c'est à lui que la voix parle. Son récit reste plus proche de l'événement tel qu'il s'est réellement passé. Sinon, il faudrait se demander pourquoi tous les gens ayant assisté à de tels phénomènes n'ont pas aussitôt décidé de croire en cet homme si visiblement glorifié par Dieu! Le Baptiste ne se serait plus jamais posé de question sur Jésus...
Pourtant le récit de Matthieu dit vrai. Non pas d'une vérité descriptive, mais plus profondément, d'une vérité de foi : c'est pour nous, lecteurs, que les cieux s'ouvrent! C'est à nous que la voix parle.
Dans nos images de ce récit, les cieux ouverts sont souvent illustrés par un ciel nuageux traversé d'un rayon de soleil. Mais Matthieu n'a rien à faire d'un bulletin météo style « ciel couvert avec éclaircies ». Son expression a bien plus d’impact, dans une culture qui connaît déjà l'expression « les cieux sont fermés ». En monde juif, au temps de Jésus, il n'y avait plus de grands prophètes comme Isaïe ou Jérémie depuis quelques siècles. Pour exprimer cela on disait « les cieux sont fermés », c’est-à-dire la communication plus directe entre Dieu et nous est interrompue*. Comme nous dirions aujourd'hui « le courant ne passe plus ».
Pour les Juifs du 1er siècle, donc, l’expression que « les cieux s'ouvrent » a un sens symbolique clair et fort : enfin Dieu a rétabli la communication! Cette image des cieux ouverts était utilisée dans des textes de style apocalyptique, qui présentent Dieu révélant ses projets (par exemple Ézéchiel 1, 1). Les lecteurs de Matthieu, chrétiens d'origine juive, n'ont pas imaginé un phénomène physique visible - qui n'aurait aucun sens sauf nourrir un désir de merveilleux. Ils comprenaient bien le sens de cette image. C'est pour eux - et pour nous - que les cieux s'ouvrent. C'est à eux - et à nous - que la voix parle. L'allure presque cosmique du récit évoque la portée universelle du salut: en cet homme Jésus, Seigneur de l'Église et du monde, Dieu s'approche de nous. Il se fait « Dieu-avec-nous », selon le sens du beau titre Emmanu-El que Matthieu cite en 1, 23. En lui, désormais, « le courant passe » entre Dieu et nous.
On peut relire le symbole de la colombe dans cette perspective. Plusieurs significations sont possibles, mais dans notre culture, elle est souvent utilisée comme symbole de paix. Ce sens vient du mythe biblique du Déluge, histoire symbolique d'une rupture et d'une réconciliation (Genèse 6-9). Dieu, déçu par l'humanité devenue violente, décide de faire le grand ménage. Il pleut pendant 40 jours et tout est noyé sauf les réfugiés de l'arche de Noé. Quand la pluie cesse, Noé envoie des oiseaux pour trouver la terre ferme. Et une colombe revient vers lui avec un rameau d'olivier au bec. Pour Noé c'est le signe d'un temps nouveau: Dieu est réconcilié avec l'humanité, il offre sa paix et son alliance. Il promet même de ne plus jamais faire ce genre de grand ménage! Cette symbolique s'ajoute à celle des cieux ouverts : Matthieu ne s'intéresse pas au jour où Jésus fut baptisé, mais nous présente Celui qui nous annonce la paix, comme le proclame Pierre dans la 2e lecture.
Le serviteur qui réjouit Dieu
La voix du ciel ne parle pas à Jésus puisque, en Matthieu, tout est déjà clair pour « le Seigneur ». La révélation est pour nous : Celui-ci est le Serviteur choisi par Dieu. La « voix » cite une phrase d'Isaïe que nous avons en 1ère lecture. Cette section du livre d'Isaïe annonce un libérateur qui, animé par l'Esprit de Dieu, ramènera de Babylonie son peuple exilé. Ce sera un nouvel Exode, comme quand Moïse délivra le peuple de l'esclavage en Égypte.
Matthieu trouve ce texte d'Isaïe si inspirant qu'il le cite au complet en 12,15-21. Ici aussi l'ambiance est de réconciliation et de paix. La mission de ce libérateur ne se fera pas dans le triomphe et la colère, mais dans la douceur et la patience envers nous, roseaux fragiles et mèches quasi éteintes. Il nous communiquera la justice telle que Dieu la propose, i.e. la manière d'inscrire la vie humaine dans le projet libérateur de Dieu pour nous.
* Pour en savoir plus...
Dans l'Antiquité on voyait la terre ainsi :
une surface sur des piliers, couverte d'une coupole où sont accrochés les astres, avec des fenêtres qui s'ouvrent pour la pluie. Pour la foi juive, monothéiste, Dieu transcende le monde, il n'en fait pas partie. Donc de manière imagée, on se représentait le séjour de Dieu au-delà de la coupole. D'où le sens des expressions « cieux fermés » et « cieux ouverts, selon que la communication «passe» ou ne passe pas.
Source: Le Feuillet biblique, no 2386. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
Chronique
précédente :
La longue marche à l'étoile
|