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5e dimanche ordinaire C - 10 février 2013

 

Un récit pascal et ecclésial

Jésus appelle ses premiers disciples : Luc 5, 1-11
Autres lectures : Isaïe 6, 1-2a.3-8; Psaume 137(138); 1 Corinthiens 15, 1-11

 

Nos quatre évangiles ne rapportent que deux pêches miraculeuses: ici, chez Luc (Lc 5,1-11) et en épilogue de l’évangile de Jean (Jn 21,1-19). Si les deux récits offrent des ressemblances indéniables plaidant en faveur d’une source commune (mettant notamment tous les deux en exergue le rôle premier de Pierre), ils présentent cependant cette différence assez fondamentale : Jean situe cette pêche miraculeuse après la mort et résurrection de Jésus, en présence du Ressuscité, alors que Luc en fait l’épisode de l’appel des premiers disciples au début du ministère galiléen de Jésus 1. Cette pêche miraculeuse aurait-elle eu lieu, comme le rapporte Luc, au cours du ministère public de Jésus ou, comme le raconte Jean, au cours d’une manifestation du Ressuscité aux disciples? Certains résoudront le problème en disant que Jésus a très bien pu, à deux reprises, provoquer une telle pêche en signe de sa puissance divine. Avant ou après la résurrection? Avant et après la résurrection? On ne le saura jamais et est-ce bien important de trancher? Une chose est certaine, toute la vie de Jésus a été relue, par chacun des évangélistes, à la lumière de la Résurrection. Je vous propose donc de faire, comme Luc l’a fait pour ses auditeurs, une lecture pascale et ecclésiale de cet épisode de la pêche miraculeuse. C’est-à-dire de discerner, en filigrane du récit « historique », ce qui est déjà dit de ce que sera la vie future de l’Église, habitée et envoyée par le Ressuscité. Ce faisant, le récit prend tout son sens!

Des clefs de compréhension

     D’abord, pour nous mettre au diapason de la compréhension que pouvaient avoir les premiers destinataires de ce récit (ceux à qui Luc adresse son évangile), prenons conscience de ce qu’évoquaient pour eux les images en présence.

La barque de Pierre

     Depuis les tout débuts de l’ère chrétienne, la barque est le symbole de l’Église (comme l’illustre le logo officiel de l’année de la foi, présentement en cours). L’Église est cette barque dont Jésus confie la barre à Simon surnommé Pierre.

Le filet de pêche

     Non loin de cette barque, des filets, instruments de travail des premiers que Jésus appellera comme disciples. Or, le filet de pêche sera perçu, par les premiers chrétiens, comme le symbole de l’unité de l’Église qui rassemble, en ses rets de fraternité sans se déchirer, des hommes et des femmes de toutes origines 2. On peut voir également en ce filet, la prédication évangélique elle-même, qui rassemble en faisant de nouveaux disciples.

La pêche

     Et depuis que le Fils de l’homme est passé sur nos rivages, on saisit symboliquement la mission de l’Église comme une « pêche d’hommes » que les disciples de Jésus ont la tâche de sauver de la noyade, donc de la mort.

Les eaux du large

     Car tel est aussi le rôle des « eaux du large », imprévisibles et dangereuses, de symboliser ces flots du mal et de la mort qui menacent la vie humaine, mais dont le Christ est vainqueur. C’est pourquoi, c’est précisément au large que le Christ envoie, d’urgence, la barque de Pierre en mission de sauvetage.

Le décor symbolique étant planté, on comprend que ce beau récit de Luc est bien plus que le récit anecdotique du miracle du lac, il est un récit de vocation : vocation de Pierre, et vocation de l’Église entière que Pierre personnifie.

Les rôles de l’Église

     Mais justement, que sera-t-elle, que fera-t-elle cette future Église du Ressuscité?

Le temps du rivage...

     D’abord, le récit nous montre que, pressé par les foules sur le rivage, Jésus est contraint de monter dans la barque de Pierre pour mieux enseigner la foule. S’éloignant un peu de la rive, sa voix porte mieux. Voilà le premier rôle de l’Église : servir de porte-voix, de haut-parleur, pour faire retentir un message qui n’est pas le sien, mais celui de Jésus, l’Évangile, dont l’Église est le dépositaire. Le haut-parleur ne fabrique, ni ne transforme le message; il transmet simplement, en l’amplifiant, le signal qu’il reçoit. Paul, en deuxième lecture de ce dimanche, fera écho à cette idée de la transmission fidèle et inaltérée du message de l’Évangile sauveur (1 Co 15,1-3).

Le temps du large...

     Second rôle pour l’équipage de l’Église-barque: à l’ordre de Jésus, partir au large pour y jeter les filets. On y reconnaît la mission de l’Église qui consiste à évangéliser, à lancer à l’humanité en détresse le filet de l’Évangile qui sauve. Le poisson que l’on tire hors de l’eau meurt, mais l’homme qu’on retire des eaux est sauvé de la mort. Depuis que le monde est monde, des flots impétueux affligent l’homme qui n’aspire pourtant qu’à vivre : mal, maladie, souffrance, égoïsme, injustice, violence, guerres, exploitation, et, au terme, la mort qui finit par l’engloutir. Or, voilà que la Bonne Nouvelle de la Résurrection de Jésus inaugure un règne nouveau où la mort est vaincue et propose un projet d’humanité transformée, fondée sur des bases nouvelles où le mal n’aura plus de prise. N’y a-t-il pas urgence de partir au large et de lancer, encore et encore, ce filet de l’Évangile qui fait vivre et rassemble?

Serviteurs indignes, mais choisis...

     Devant le miracle des poissons, l’effroi s’empare de Simon-Pierre et de ses compagnons de barque. Cette « crainte sacrée » est courante dans la Bible. Elle consiste en un tel sentiment d’indignité en présence de la puissance divine qu’on craint même d’en mourir. On la retrouve chez Isaïe qui nous raconte sa vision de Dieu dans le Temple, en première lecture de ce dimanche (Is 6,5). On la retrouve aussi, d’une certaine façon, chez Paul, en deuxième lecture, qui avoue son indignité d’être appelé Apôtre, lui qui fut, autrefois, persécuteur de l’Église de Dieu (1Co 15,9). Dieu ne s’attend évidemment jamais à ce qu’on rivalise de « sainteté » avec lui, il y a, entre lui et nous, un fossé au dessus duquel lui seul peut bâtir un pont. Ce qu’il fait toujours pour ceux qu’il choisit. Ce pont est déployé par une parole rassurante (Sois sans crainte... (Lc 5,10), ou un geste purificateur (Ceci a touché tes lèvres... ta faute est enlevée (Is 6,7) qui ne peuvent venir que de sa grâce (1Co 15,10). Le choix de Simon-Pierre - qui nous personnifie - est l’illustration parfaite d’un Dieu qui ne craint jamais de s’adjoindre, pour son oeuvre, des serviteurs fragiles et imparfaits. Comme on le dit souvent : Dieu ne choisit pas ceux qui sont capables, mais il rend capables ceux qu’il choisit.

Pour nous aujourd’hui...

     Ce récit est toujours actuel. Le monde change, les moyens de communications changent. À chaque époque de son histoire, l’Église-barque a pour tâche d’adapter, de réajuster, de moderniser son équipement de pêche, lui permettant de toujours répondre aux appels du Christ ressuscité : comment, aujourd’hui, être porte-voix du message toujours pertinent de l’Évangile et comment le proposer comme chemin de vie et de fraternité universelle aux hommes et femmes d’aujourd’hui? De son capitaine à son plus humble membre d’équipage, c’est dans ce processus de réflexion et d’action que l’année de la foi nous engage.

___________________

1 L’appel des premiers disciples en Luc diffère aussi de ses équivalents chez Matthieu et Marc. Mt et Mc racontent l’appel des quatre premiers disciples lors d’une marche de Jésus au bord du lac (Mt 4,18-22 // Mc 1,16-20) et non au cours d’une pêche. Luc retarde aussi cet appel par rapport à Mt et Mc, permettant aux disciples de voir quelque peu Jésus à l’oeuvre (prédication, miracles) avant de tout laisser pour le suivre.

2 D’autant plus que le poisson sera le symbole des chrétiens aux premiers temps de l’Église. Chaque lettre du substantif grec (ichtus), signifiant poisson, forme l’acrostiche de la phrase suivante : Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur.

 

Patrice Bergeron, ptre

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2346. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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