Pas n'importe quel amour!
L'Image de la vigne et des branches : Jean 15, 9-17
Autres lectures : Actes 10, 25-26.34-35.44-48; Psaume 97(98); 1 Jean 4, 7-10
En ce dimanche de la fête des mères, l’Évangile nous rappelle l’une des paroles les plus connues de Jésus : Aimez-vous les uns les autres (Jn 13,34; 15,12.17). Utilisée à toutes les sauces, cette parole risque de perdre sa saveur. Trop souvent nous oublions la deuxième partie de la phrase : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. En ce jour où nous célébrons celles qui nous ont donné la vie et qui nous ont appris le sens profond de l’amour, prenons le temps de redécouvrir le commandement principal que nous laisse le Christ ressuscité.
Redécouvrir la source de tout amour
Jésus commence par un rappel important : Comme (kathôs) le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés (15,9). La conjonction grecque kathôs signifie couramment “de la même manière que,” mais elle […] pourrait se rendre par “du fait que,” “dans la mesure où.” 1 Elle semble avoir ici un double sens : Parce que le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés, je vous ai aimés à sa manière. Et Jésus d’ajouter : Demeurez dans mon amour. (15,9) L’amour coule donc de source. « Du Père au Fils, du Fils aux disciples, puis dans les disciples les uns pour les autres, un seul amour, dont le jaillissement est continu. » 2
Cette injonction de Jésus nous ramène aux premiers pas des disciples dans l’évangile de Jean. Aux deux disciples de Jean Baptiste qui s’étaient mis à le suivre, Jésus demanda : “Que cherchez-vous” ? Ils répondirent : “Rabbi – ce qui signifie Maître –, où demeures-tu” ? Il leur dit : “Venez et vous verrez”. Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là ; c’était environ la dixième heure. » (1, 38-39, TOB) Voir où demeure Jésus signifie contempler l’amour du Père où demeure son Fils. Demeurer auprès de lui signifie puiser avec lui à la source même de l’amour : le cœur de Dieu, notre Père. Notre qualité de disciples du Christ Jésus se fonde là-dessus! Jésus ressuscité nous convie donc à nouveau à devenir ses disciples, à marcher sur ses pas. Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé fidèlement les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. (15,10)
Peut-on commander l’amour ?
On peut difficilement être contre l’idée d’aimer. Mais quand Jésus allie les mots « amour » et « commandement », nous risquons de froncer les sourcils. On pourrait répliquer par le proverbe bien connu : « L’amour ne se commande pas ». Pourtant, ce n’est pas la première fois dans l’évangile de Jean que Jésus associe amour et commandement. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. (13,34) Jésus peut faire de l’amour un commandement parce qu’il y voit bien plus qu’un sentiment ou une passion.
Comment savoir si oui ou non nous aimons comme le Christ nous a aimés ? Comment savoir si notre façon d’aimer dépasse le sentiment et la passion ? Jésus nous donne un signe qui ne trompe pas : Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que vous soyez comblés de joie. (15,11) La joie profonde, que seul le Christ peut nous donner, demeure le meilleur indice que nous suivons le commandement de l’amour, que nous aimons à la manière du Christ, que nous aimons à la manière de Dieu. Dans la mesure où nous ouvrirons nos cœurs pour accueillir l’amour que Dieu nous donne par son Fils, nous serons plongés dans la joie de Dieu et nous trouverons là la force d’aller jusqu’au bout de l’amour.
C’est bien là que le Christ veut que nous le suivions. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. (15,12-13) « L’absolu de l’amour de Jésus pour les siens est l’objet premier de la contemplation de l’évangéliste ; il doit motiver la fidélité quotidienne du disciple au commandement de l’amour fraternel. […] selon l’évangéliste Jean, l’amour seul rend raison de la Croix. » 3 « Cela renforce l’idée que l’amour selon l’évangile est nécessairement un amour en acte, un don de soi libre et volontaire, dont le but est d’aider les autres à vivre. C’est d’ailleurs pourquoi, contrairement aux sentiments ou aux “ passions ”, il peut faire l’objet d’un commandement. »4
Redécouvrir l’amitié que Dieu nous porte
Contempler l’amour que le Père donne à son Fils, l’amour que son Fils donne à ses disciples, l’amour que les disciples sont invités à se donner les uns aux autres peut donc nous aider à comprendre pourquoi Jésus accepte de donner sa vie sur la croix. Il ne s’agit surtout pas d’assouvir la colère de Dieu contre l’homme pécheur, comme le laissent croire les paroles du « Minuit, chrétiens ». Il s’agit plutôt de donner sa vie, d’ouvrir son cœur pour que l’amour de Dieu puisse déborder sur le monde : Un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. (19,34)
Or, cette mort qui témoigne du plus grand amour parce qu’elle est vie donnée pour ses amis (15,13), Jésus nous rappelle qu’il l’a vécue pour nous : Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître ; maintenant, je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. (15,15) Nous sommes amis du Christ ressuscité, et non ses serviteurs ou ses esclaves. Et cela a des conséquences sur notre manière d’obéir au commandement de l’amour. Il ne s’agit plus d’obéir servilement, du simple fait que Dieu le demande. Il s’agit plutôt de choisir d’obéir, d’entrer librement dans le commandement d’amour. De choisir à nouveau d’investir dans l’amitié qui nous unit au Christ ressuscité. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. (15,14)
Un choix auquel est rattachée une mission.
Avant de retourner vers son Père et notre Père, Jésus nous rappelle son amour, son amitié. Cela ne dépend pas de quelque chose que nous aurions fait. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis (15,16). Il serait d’ailleurs dommage de limiter ce choix à ceux et celles que le Seigneur appelle à la vie religieuse ou à un ministère ordonné. « Le verbe « choisir » dit manifestement l’élection dont tous les croyants sont l’objet, ceux que le Fils appelle ses amis. » 5
Ce choix, cette élection divine sont liés à la mission du Christ qu’il continue à travers nous, les croyants. Au soir de Pâques, Jésus déclarait : De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. (20,21) Aujourd’hui il nous dit : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure. (15,16) Puisque tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera (15,16), demandons au Seigneur la force d’aimer et de donner nos vies comme le Christ. Ainsi, comme une mère, toute l’Église pourra donner son fruit. Ainsi, l’amour pourra régner sur la terre…
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1 Charles L’Éplattenier, L’Évangile de Jean (La Bible, porte-parole), Genève, Labor et Fides, 1993, p. 286.
2 Xavier Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean. III. Les adieux du Seigneur (chapitres 13-17) (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1993, p. 174.
3 Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean. III, p. 179.
4 L’Éplattenier, L’Évangile de Jean, p. 308.
5 Léon-Dufour, Lecture de l’Évangile selon Jean. III, p. 182.
Source: Le Feuillet biblique, no 2316. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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