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11e dimanche ordinaire B - 17 juin 2012

 

« Automatè »

La semence qui pousse d'elle-même : Marc 4, 26-34
Autres lectures : Ézéchiel 17, 22-24; Psaume 91(92); 2 Corinthiens 5, 6-10

« Automatiquement », ainsi pourrait être traduit le mot grec automatè que toutes les Bibles de langue française rendent par un prosaïque « d’elle-même » : D’elle-même, la terre produit du fruit (Mc 4, 28). Il est vrai que la formulation « automatiquement, la terre produit du fruit » manque d’élégance, elle n’est pas très « classe » ! Ça ne fait pas sérieux ! Mais quand on découvre, non sans étonnement, que l’expression n’apparaît nulle part ailleurs dans les quatre évangiles, et une seule autre fois dans tout le Nouveau Testament, on se dit qu’il vaut peut-être la peine qu’on s’y arrête.

     Des deux paraboles que contient le texte évangélique de ce dimanche, seule la première est propre à Marc (vv. 26-29). La deuxième (vv. 30-32) proviendrait d’un document préévangélique appelé source Q (de l’allemand Quelle) et se trouve aussi chez Matthieu et Luc. 1 C’est là au cœur de cette première parabole, qu’on trouve l’expression automatè que Marc est le seul évangéliste à utiliser. Placé en plein centre du texte original grec, automatè apparaît comme le mot-clé autour duquel pivote toute cette petite parabole. Regardons-la de près.

L’ignorance du semeur

     La parabole parle d’un homme qui, après avoir jeté la semence sur la terre, dort la nuit et se lève le jour : Et qu’il dorme et qu’il soit éveillé, nuit et jour (4, 27). Alors que l’homme retourne à la routine habituelle de ses activités journalières, la semence germe et grandit (4, 27). Comment ? L’évangéliste ajoute aussitôt : Il ne sait pas, lui (4, 27). Quand on y regarde de près, on se rend compte que l’activité de la semence qui « germe et grandit » est encadrée d’une part par l’inactivité du semeur qui dort la nuit et s’éveille le jour et d’autre part par son constat d’ignorance. La seule activité de l’homme aura été de jeter la semence. Le reste ne lui appartient pas. Ça le dépasse totalement. Le texte original grec est sans ambiguïté sur l’ignorance du semeur : Comment ? Il ne le sait pas, lui (4, 27). Suite à un tel constat d’ignorance, l’évangéliste aurait été mal venu de sauter immédiatement à l’étape de la moisson, escamotant ainsi la condition de l’homme. À quoi aurait pu servir une parabole rappelant qu’après avoir semé un jour il faut moissonner plus tard ?

Entre la réponse au semeur et l’activité de la semence

     S’ouvrant avec le « comment ? » et se terminant avec le pronom « lui », on détecte dans la phrase une progression, laquelle aboutira à automatè suivant immédiatement le pronom « lui » comme en réponse à cette ignorance si lourdement soulignée. Accroché à automatè vient le segment de phrase : La terre porte du fruit. La phrase Automatiquement, la terre produit du fruit  (v. 28), a été traduite par d’elle-même, la terre produit du fruit (v. 28). Le dictionnaire Bailly traduit automatè par : « Qui se meut de soi-même, de son propre mouvement » 2. Zerwick et Grosvenor précisent que même si automatè est ici un adjectif qualificatif, l’expression est utilisée ici avec la force de l’adverbe 3. Placé entre le constat d’ignorance du semeur et l’activité mystérieuse de la semence, automatè contient en condensé et la réponse à l’ignorance du semeur et l’activité de la semence. Le rendre par le banal d’elle-même lui enlève toute sa force, toute sa portée. On a ici un bel exemple des difficultés auxquelles les traducteurs sont confrontés. D’où l’importance des notes en bas des pages des Bibles pour faire ressortir les nuances que nos traductions ne peuvent rendre. Le mot automatè nous fait donc passer de l’ignorance de l’homme à la terre produisant du fruit. À l’ignorance avouée de l’homme correspond l’apparition de l’herbe, puis l’épi, puis du blé plein l’épi (4,28). À l’homme incapable de fournir la moindre explication au phénomène de germination et de croissance, l’évangéliste répond : automatè.

Une ignorance bien compréhensible

     On comprend l’ignorance du semeur. Quelqu’un qui n’aurait jamais connu la période des moissons, ne peut imaginer qu’un jour un fruit puisse jaillir de  la minuscule et insignifiante semence jetée en terre. Une telle métamorphose est tout simplement imprévisible tant le fruit est différent de la semence. « On a souvent souligné, écrit Étienne Trocmé, à quel point le processus de la germination et de la croissance végétale semblait inexplicable aux yeux des hommes de l’Orient antique. La chiquenaude initiale une fois donnée par ses soins, le semeur n’a plus la moindre prise, fut-elle intellectuelle, sur le processus qu’il a mis en route ». 4 C’est ainsi que l’homme qui a jeté en terre la semence n’a plus qu’à dormir la nuit et se lever le jour. Il n’a aucune prise sur le travail de germination et de croissance. Et qu’il dorme et qu’il soit éveillé, nuit et jour (4,27) écrit l’évangéliste avec cette formule transposée littéralement de l’hébreu au grec qui met en évidence cette période de temps qui n’est plus du ressort de l’homme et durant laquelle un travail souterrain et mystérieux s’accomplit. 

À la lumière de la libération de Pierre

     Si l’expression n’apparaît qu’une fois dans les quatre évangiles, on la retrouve une seule autre fois dans tout le Nouveau Testament, au chapitre 12 du livre des Actes des Apôtres. Pierre est en prison. Il est confié à la garde de quatre escouades de quatre soldats (Ac 12,4). Cette nuit-là, Pierre dormait entre deux soldats, maintenu par deux chaînes, et des gardes étaient en faction devant la porte (Ac 12,6). Or voilà qu’un ange vient le délivrer. Pierre croit rêver. Là où le semeur dort la nuit et se lève le jour, Pierre, lui, dort. Là où Marc mentionne l’herbe, ensuite l’épi, ensuite le blé plein l’épi, Luc écrit qu’ils passèrent un premier poste de garde, puis un second, et arrivèrent à la porte de fer qui donnait sur la ville : elle s’ouvrit automatiquement (Ac 12,10). Évidemment on traduira plus élégamment que la porte s’ouvrit d’elle-même. De même qu’automatiquement la terre produit du fruit, automatiquement la porte de fer s’ouvre. Employée dans ces deux événements, la même expression divulgue toute sa signification : Dieu est avec nous, il est à l’œuvre au cœur de notre humanité. Il agit, il donne la vie, il libère.

…et nous qui voulons avoir le contrôle sur tout !

     Nous, les héritiers du siècle des Lumières, qui voulons tout comprendre, tout expliquer, tout gérer, tout organiser, nous qui voulons au détriment de notre santé avoir le contrôle sur tout comme si tout dépendait entièrement de nous, n’aurions-nous pas intérêt à prendre pour modèle l’homme qui, après avoir jeté la semence, dort la nuit et se lève le jour (Mc 4,27), et Pierre, qui dormait entre deux soldats (Ac 12,6) ?

     Pourquoi ne pas laisser à Dieu ce qui lui appartient et pourquoi ne pas nous contenter d’accomplir bien humblement la modeste tâche qui nous est confiée… sans plus…?

1 La Source Q aurait servi de base à la rédaction des évangiles de Matthieu et de Luc.

2 A. Bailly, Dictionnaire Grec Français, Ed. Hachette, 1950, p. 215.

3 Zerwick et Grosvenor, A., Grammatical Analysis of the Greek New Testament, 1982, p. 113.

4 Étienne Trocmé, L'Évangile selon saint Marc, Labor et Fides 2000, p. 126.

Claude Julien, F.CH.

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2321. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

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