À l'aube des temps nouveaux : Marie
Annonce de la naissance de Jésus : Luc 1, 26-38
Autres lectures : 2 Samuel 7, 1-5.8b-12.14a.16; Psaume 88(89); Romains 16, 25-27
L’annonce faite à Marie. Avouons-le : nous voilà en face d’un texte de Luc archiconnu avec le danger que cela comporte, soit celui de l’écouter distraitement, croyant qu’il n’a plus rien de nouveau à nous révéler! Et pourtant, s’il est un texte riche de sens où le génie du raconteur et théologien qu’est Luc se laisse voir, c’est bien celui-là! Allons à sa découverte.
Situons le texte dans son contexte
Ce récit est tiré des deux premiers chapitres de l’évangile de Luc appelés Évangile de l’enfance : deux chapitres dans lesquels sont rapportés côte à côte, comme en un diptyque, deux cycles : les événements extraordinaires entourant la conception et la naissance de deux personnages au destin extraordinaire, Jean Baptiste et Jésus. Cette mise en parallèle permet à Luc d’affirmer, dès avant leur naissance, la supériorité de Jésus sur Jean Baptiste. Les cycles de Jean Baptiste et de Jésus sont liés par une scène centrale, celle de la Visitation de Marie à Élisabeth, où Jean Baptiste non encore né, s’incline déjà (par un tressaillement dans le sein de sa mère) devant Jésus, lui aussi en gestation, jouant ainsi déjà son rôle de précurseur du Sauveur.
Belles histoires teintées de « fabuleux », ces récits d’enfance sont en fait une théologie mise en images; c’est-à-dire que Luc, par ces textes, ne cherche pas tant à nous décrire le « comment cela s’est produit? », mais cherche plutôt à nous dire : « qui sont ces enfants qui viennent de naître? ». Tout ce qui sera découvert plus tard dans l’évangile de l’identité et du rôle respectif de Jean Baptiste et de Jésus dans l’histoire du salut, est déjà annoncé dans ces récits, anticipé dans l’enfance des deux protagonistes par l’évangéliste. Comment Luc pourrait d’ailleurs nous décrire le « comment » de l’irruption de Dieu dans l’humanité? La conception de Jésus est un secret qui n’appartient qu’à Marie, une expérience mystique, sans précédent, indicible. Si Luc, le théologien, risque néanmoins un récit pour dire l’indicible, il le fait en ayant recours aux trésors d’expressions narratives, aux genres littéraires et aux typologies de l’Ancien Testament. Dans le récit de l’Annonce à Marie, on reconnaît principalement deux « patterns » narratifs du premier Testament, soit ceux de l’annonce d’une naissance miraculeuse (ex : Gn 18,1-15; 1 S 1,1-28; Jg 13,1-24) et du récit de vocation (ex : Ex 3,1-15; Jg 6,11-24).
But théologique du texte
Le récit de l’Annonciation trahit l’intention théologique de Luc de nous révéler déjà, en début d’œuvre, que Jésus est le Messie promis à Israël et que, par sa naissance, s’accomplissent les promesses messianiques de l’Ancien Testament. Quelles promesses? Les mots qu’il met dans la bouche de l’ange font allusion à cette promesse ancienne de Dieu transmise par Nathan à David d’assurer une pérrennité à sa descendance sur le trône d’Israël. La première lecture de ce dimanche nous la fait réentendre (2 S 7,1-16) 1. Mais il est une autre prophétie de l’Ancien Testament que Luc voit s’accomplir lorsqu’il nous raconte l’annonciation : c’est la prophétie de l’Emmanuel tirée du livre d’Isaïe (Is 7,10-17). Prophétie selon laquelle Dieu donnera à son peuple un signe qu’il est bien Dieu avec nous 2 lorsqu’une jeune fille (ou une vierge) 3 concevra et donnera naissance à un enfant qui sera appelé Emmanuel 4. Comment, en effet, Dieu pourrait-il être davantage avec nous qu’en se faisant l’un des nôtres! L’insistance du texte sur la virginité de Marie n’a pour but que de dissiper tout doute quant à l’origine et à l’identité divines de Jésus : il est le Fils de Dieu.
Mise à part ces allusions claires à des prophéties précises de l’Ancien Testament, le texte comporte des affirmations théologiques plus subtiles, mais pourtant bien intentionnelles de la part de Luc.
L’ange Gabriel…
Où Luc a-t-il trouvé le nom du messager divin annonçant à Marie qu’elle enfanterait le Fils de Dieu? Réponse : dans la Bible! Luc connaît sa Bible. S’il fait intervenir ici l’archange Gabriel, il faut croire que ce choix de Gabriel revêt aussi pour lui une signification théologique, messianique. Où retrouve-t-on Gabriel ailleurs dans la Bible? En un seul autre endroit, dans une portion apocalyptique du livre de Daniel (Dn 8,16; 9,21), où cet ange éclaire Daniel sur l’interprétation des visions que Dieu lui fait voir en prévision de la fin des temps. Notamment, la prophétie expliquée par Gabriel des « soixante-dix semaines d’années » (Dn 9,20-27) contenue dans le livre et que les chrétiens ont réinterprété en y voyant une allusion au Messie-Jésus devant venir (allez lire Dn 9,26). En faisant ici intervenir Gabriel (le spécialiste de la fin des temps 5), Luc n’est-il pas en train de nous dire que les temps messianiques sont inaugurés par la naissance de Jésus? Oui!
Réjouis-toi…
La salutation de l’ange à Marie n’est pas, elle non plus, exempte d’une signification messianique. Cet appel à se réjouir, on l’entend dans deux textes de prophètes messianiques de l’Ancien Testament, Sophonie et Zacharie (So 3,14; Za 9,9). Dans les deux cas, il est adressé à la même femme, à la « fille de Sion » ou « fille de Jérusalem », personnification du peuple d’Israël à qui Dieu promet des jours de salut à venir. En recyclant cette salutation joyeuse, il est clair que Luc voit en Marie, la fille de Sion qui engendre son Messie Sauveur.
La puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre
La métaphore de l’ombre est puissante quand on en saisit les ancrages vétéro-testamentaires. Au temps de l’exode où Israël campait au désert, une tente était dressée pour y déposer l’arche d’alliance contenant les tables de la Loi de l’alliance mosaïque. La présence de Dieu dans la tente de la rencontre était signifiée par une ombre ou une nuée qui la recouvrait (Ex 40,34). Même chose lorsque le Temple de Jérusalem sera bâti et qu’au Saint des saints sera déposée l’arche (Ez 11,22). Marie sera donc recouverte de l’ombre du Très-Haut lorsqu’elle sera habitée de la présence de Dieu, portant en elle le Fils. Les litanies traditionnelles de la Vierge Marie donnent d’ailleurs ce titre d’Arche d’alliance à Marie, elle qui a porté Celui qui sera source de la Nouvelle Alliance.
Mot de la fin
Les limites d’espace de cette publication m’obligent à m’arrêter ici, malgré tout ce qu’il resterait à dire sur ce texte majeur de la tradition chrétienne. J’espère tout de même avoir fait la démonstration que, même en présence d’un texte que l’on connaît bien, l’Évangile est toujours neuf et fécond.
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1Voir aussi Is 9,6 qui prophétise la continuité éternelle du trône de David. Même si le texte nous apprendra que Joseph, de la maison de David, n’a rien à voir avec la conception de Jésus, cet homme qui prendra Marie pour épouse et Jésus comme fils inscrira ce dernier dans la descendance de David.
2 Emmanuel signifie Dieu avec nous.
3 Le texte hébreu d’Is 7,14 parle seulement d’une jeune femme (vierge ou non), alors que la traduction grecque opte pour le mot vierge. Il est clair que Luc endosse la traduction grecque du texte d’Isaïe.
4 Cette prophétie d’autrefois était adressée directement au roi Akhaz qui, menacé par des pays voisins, craignait de voir s’éteindre sa dynastie. Dieu lui promet donc un fils pour assurer la postérité de la monarchie davidique. Toutefois, les premiers chrétiens, relisant les Écritures, ont réinterprété les prophéties d’autrefois, leur donnant une portée messianique, les voyant réalisées en Jésus Christ. C’est ce que fait Luc ici.
5 Fin des temps et temps messianiques dans la Bible sont assez synonymes. S’est développée, dans le judaïsme, la croyance, qu’à la fin des temps, Dieu interviendrait par l’envoi d’un « oïnt », d’un Messie de son choix, établissant définitivement son règne. Les chrétiens identifient ce Messie à Jésus.
Source: Le Feuillet biblique, no 2295. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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