De « Veillez » à « Commencement »
La prédication de Jean le Baptiseur : Marc 1, 1-8
Autres lectures : Isaïe 40, 1-5.9-11; Psaume 84(85); 2 Pierre 3, 8-14
« Commencement », tel est le premier mot de l’œuvre de Marc. Tel est aussi le mot qui nous invite à entrer dans la nouvelle année liturgique, compagne de l’année civile qui s’annonce. Mais pourquoi au deuxième dimanche ? Le mot n’aurait-il pas plus sa place au premier dimanche ? Et si la réponse se trouvait dans ce verbe omniprésent de dimanche dernier ? Veillez, le verbe a retenti trois fois dans nos assemblées, et à l’impératif ! Il fallait être sourd pour ne pas l’entendre ! Peut-être, mais la brève parabole qui accompagnait cette exhortation pouvait nous laisser sur notre appétit. Veillez, car vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra (Marc 13, 35). C’est plutôt court !
Le fidèle invité à entrer dans le parcours de la nouvelle année liturgique était en droit d’en redemander. On peut douter que la petite parabole du propriétaire revenant chez lui après un voyage allait le convaincre de « veiller ». Veiller pourquoi, pour qui ? Réponse au deuxième dimanche. Le « veillez » par trois fois répété à l’impératif nous conduit tout droit au « commencement » du deuxième dimanche. Placé au tout début du livre de la Genèse de même qu’au début des évangiles de Marc et de Jean, le mot « commencement » nous fait entrer dans une histoire, un événement bien circonscrit. Il est une réponse au « veillez » de dimanche dernier.
Le commencement d’un événement
Ce « commencement » ouvre un espace. Il nous conduit à un événement. Le lecteur de dimanche dernier n’aura pas « veillé » en vain. En huit versets sur les douze versets du prologue de Marc, il trouvera ce dimanche-ci sa réponse : l’annonce d’un événement qui fera la joie de tous ceux qui sauront le reconnaître. Quel événement ? L’intervention créatrice et libératrice de l’unique Dieu dans l’histoire des humains.
Réussir à résumer en huit versets un pareil événement s’échelonnant sur presque deux millénaires, il faut le faire ! Il est vrai que compte tenu des moyens de productions des écrits de l’époque, celui-ci valait une petite fortune! Habitués que nous sommes à surfer sur la surabondance d’écrits à notre disposition en ces temps de lecture rapide, il y a de grandes chances que très peu de lecteurs et d’auditeurs de ce dimanche saisiront tout ce que ces huit versets contiennent.
« Commencement », ce mot est à la base de l’espérance tant juive que chrétienne. Les païens puisaient leur espérance en levant les yeux vers le ciel, y contemplant la remarquable et sécurisante régularité des astres qui, dans leur mouvement rotatif, ne quittaient jamais leurs trajectoires. Les juifs et les chrétiens, eux, regardaient vers la terre, scrutant avec application dans leur histoire les signes de la présence de leur Dieu qui à travers son invisibilité se manifestait comme créateur et libérateur. Pour les païens, le temps tournait sur lui-même en un éternel recommencement, pour les juifs et les chrétiens le temps avançait d’une façon linéaire vers une destination marquée par le « shalom », la paix. Pour eux, le temps, loin d’être le fruit du hasard, trouvait son origine non pas dans des forces anonymes venues d’on ne sait où, mais en un Dieu dont l’œuvre de création était ponctuée par une locution admirative répétée six fois en ouverture de la Bible : « et Dieu vit que cela était bon ! ».
En plaçant le mot « commencement » à l’ouverture de son évangile, Marc comme Jean d’ailleurs, reprend le premier mot de toute la Bible, laquelle étant perçue autant par les juifs que par les chrétiens comme l’histoire du monde depuis ses origines jusqu’à sa fin. Pour les juifs des premières communautés chrétiennes, ce mot était un rappel que ce monde n’allait pas à la dérive puisqu’il était voulu et accompagné par ce Dieu qui avait marqué et qui continuait de marquer leur histoire, alors que pour les païens devenus chrétiens ou en voie de le devenir, le mot les faisait sortir de leur fatalisme fondé sur l’éternel recommencement du temps. Chez les uns comme chez les autres, vivant dans un monde marqué par des persécutions de toutes sortes, le mot « commencement » ne pouvait qu’engendrer de l’espérance. À notre tour maintenant de bien recevoir ce mot. La nouvelle année qui s’annonce sera-t-elle perçue comme la répétition de l’année qui s’achève ou comme un « commencement » ?
« Euaggelion »
À ce mot, suit immédiatement celui de « évangile ». On se serait peut-être attendu à y trouver quelque chose comme « Commencement de la vie de Jésus ». Justement pas ! En mettant ensemble « commencement » et « évangile », l’auteur expose, met en lumière le fait que Dieu reconnu comme créateur et libérateur est toujours à l’œuvre. Le terme « évangile », translittération du grec « euaggelion », signifie étymologiquement « bonne nouvelle » ou « bon message », un message de libération, de délivrance, avec un caractère de nouveauté dépassant toute attente et donc qui étonne. « Euaggelion » est le terme que les traducteurs du Premier Testament de l’hébreu au grec ont adopté pour nommer l’intervention créatrice et libératrice de Dieu dans l’histoire du monde. Pour les païens, le terme avait une signification limitée à une bonne nouvelle associée le plus souvent à une victoire militaire, avec toutes les conséquences positives qui en résultaient pour les récepteurs de cette bonne nouvelle.
De Moïse à Malachie en passant par Isaïe
Évidemment pour Marc, la « bonne nouvelle » est associée à l’intervention de Jésus dans l’histoire de l’humanité. Mais même si le nom de « Jésus » suit immédiatement le mot « évangile », Marc n’abordera pas l’intervention de son personnage dans le monde sans d’abord rappeler l’intervention initiale et toujours en vigueur de Dieu. Jésus n’atterrit pas sur la terre comme un cheveu sur la soupe, il se situe dans le prolongement de cette unique intervention de Dieu qui s’est déployée tout au long des mille huit cents ans d’histoire du peuple d’Israël. Il faut louer le génie de l’auteur pour avoir réussi à nous résumer toute l’histoire de cette intervention salvifique en quelques mots. Marc ne nomme que le prophète Isaïe, mais il prend appui sur trois citations du Premier Testament couvrant la totalité de l’histoire du salut. C’est ainsi que lorsqu’il écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi (v. 2), il évoque la figure de Moïse, l’acteur principal de la libération d’Israël à qui on attribue les paroles suivantes : Voici que moi je vais envoyer un messager devant toi (Ex 23, 20). En ajoutant : Pour préparer ton chemin (v. 2b), il fait un bond d’environ huit cent vingt ans en avant, citant Malachie, le dernier des prophètes du Premier Testament : Voici que j’envoie mon messager, pour qu’il prépare le chemin devant moi (Malachie 3, 1). Au verset suivant Marc écrit : Une voix crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers (v. 3), ce qui correspond à l’annonce de l’événement le plus important de l’histoire d’Israël après la sortie d’Égypte : la fin de l’exil vers 537, annoncé par le prophète Isaïe que la liturgie propose en première lecture de ce dimanche : Une voix crie : préparez dans le désert le chemin du Seigneur. Tracez dans les terres arides une route aplanie pour notre Dieu (Is 40, 3).
Oui, c’est avec ce rappel de toute l’histoire du salut que les chrétiens sont appelés à regarder la nouvelle année qui s’annonce.
Source: Le Feuillet biblique, no 2293. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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