Un Jésus libre de toute entrave
L'impôt dû à César : Matthieu 22, 15-21
Autres lectures : Isaïe 45, 1.4-6a; Psaume 95(96); 1 Thessaloniciens 1, 1-5b
Une question piège, s’il en est une! Car quel que soit le parti du côté duquel Jésus pourrait se ranger – de César, le créancier, ou des Juifs, les débiteurs – ses adversaires trouveront matière à le prendre en défaut.
Un signe de la domination étrangère
Assujettis à la domination de Rome, les Juifs ont effectivement l’obligation de verser le tribut à l’empereur. Symbole de leur soumission à un pouvoir païen, ultime humiliation, cette obligation leur répugne au plus haut point. Sans compter tous les inconvénients inhérents à cette soumission, dont celui de la cohabitation avec les étrangers; cette promiscuité qui les expose au risque constant d’être contaminés par d’éventuels contacts avec les païens et, conséquemment, de se retrouver en état d’impureté. Les Juifs doivent, en outre, lutter pour le respect de la loi mosaïque, laquelle constitue le cœur de leur existence comme peuple, et pour la sauvegarde de leurs traditions. Ils doivent, en fait, se préserver de toute influence culturelle qui menace l’intégrité et la pureté de leur race.
Quant à ce tribut particulier payé à César, il s’ajoute à une série d’autres taxes : péages, douanes impôts au temple de Jérusalem, etc. Toutes ces taxes deviennent un fardeau tel que le peuple a peine à survivre. Tandis que les hérodiens, alliés du pouvoir étranger, ne contestent pas ce tribut, que les pharisiens le dénoncent sans s’y rebeller ouvertement, les zélotes, eux, le combattent violemment, interdisant même à leurs partisans de le payer. D’ailleurs, le seul fait de le payer ne s’avère-t-il pas acceptation implicite de la domination païenne et, par la même occasion, renonciation à la souveraineté de Dieu sur le peuple.
Cette brève contextualisation de la question posée à Jésus permet donc de saisir un peu mieux la nature du piège qui lui est tendu. Par contre, la réponse de Jésus a de quoi étonner. Lui qui a l’habitude de s’insurger contre toute iniquité, il sait pertinemment le surcroît de misère que l’acquittement de ce tribut représente pour son peuple. De multiples explications ont d’ailleurs été proposées à sa réponse sans qu’aucune ne fasse jamais l’unanimité. Il demeure néanmoins possible de jeter quelques éclairages sur cet épineux passage évangélique.
Le piège tendu à Jésus
Tout d’abord, l’entrée en matière du récit est sans équivoque quant à la malice des intentions des pharisiens à l’endroit de Jésus : ils veulent le prendre en défaut. Ils se situent donc d’emblée comme ses ennemis. Mais leur malice est d’autant plus vicieuse que leur approche démontre leur juste connaissance de l’irréprochabilité de Jésus. Le premier élément du piège évoque sa franchise. Le choix de cette qualité n’est donc pas un hasard : ils savent bien que Jésus ne saurait dire autrement que ce qu’il croit être juste. Puis ils affirment, en complément, que son enseignement est en tout conforme à la vérité, sans qu’il ne subisse quelque influence que ce soit.
Les pharisiens ne semblent pas s’en rendre compte, mais ils tombent dans leur propre piège. En effet, puisqu’ils se prétendent les fidèles interprètes de la loi et de la volonté de Dieu, ne devraient-ils pas se réjouir du fait que Jésus « enseigne les chemins de Dieu en toute vérité »? Ne devraient-ils pas se réjouir de trouver en lui un modèle d’intégrité? Et par conséquent, le reconnaître comme un précieux collaborateur? Pourquoi, au contraire, vouloir le faire trébucher?
Cette ambigüité quant à l’attitude des pharisiens est toutefois révélatrice. Elle dit à la fois leur connaissance de la loi de Dieu et leur incapacité de vivre selon son esprit. Leur « vérité » est de l’appliquer littéralement et d’en exiger autant du peuple pour mieux exercer sur lui un contrôle intransigeant; tandis que la « vérité » de Jésus, celle de Dieu en réalité, c’est de l’appliquer de façon vivifiante en l’actualisant au fil des situations quotidiennes, de façon à ce qu’elle génère la vie au lieu de l’étouffer. C’est la même loi, mais son application est si contrastante selon qu’elle vise à asservir ou à libérer les gens.
Le piège déjoué
Jésus traite ses interlocuteurs d’hypocrites, sachant très bien que leur approche du service de Dieu, mû par l’orgueil et la soif du pouvoir, n’ouvre d’espace à aucun dialogue valable. Une approche qui échappe à l’esprit même de la loi, lequel convie à la justice et à l’amour. Toute discussion serait donc stérile puisque leurs visions respectives du service de Dieu, celle de Jésus et celle des pharisiens, opèrent sur des voies parallèles et puisque, de toute façon, le but des pharisiens est de perdre Jésus, peu importe sa réponse. Jésus décide donc de ne pas se laisser entraîner dans les ornières de leur bassesse et choisit plutôt de déjouer leur malice.
En fait, Jésus ne se prononce pas sur l’impact douloureux de l’imposition du tribut sur les pauvres, ni sur le bien-fondé du règne de César sur le peuple, mais bien sur la légitimité objective du prélèvement du tribut par César, dans le contexte politique désigné. Il semble dire : « Si vous vous soumettez à l’autorité de César, alors payer lui son tribut ». Autrement dit, si César exerce son règne sur le peuple, rien de plus normal qu’il exige son tribut. Renvoyant ainsi ses interlocuteurs à leur propre incohérence, Jésus ajoute néanmoins qu’il faut « rendre à Dieu ce qui est à Dieu », indiquant par là qu’aucune situation politico-sociale ne saurait exempter quiconque du service de Dieu.
D’ailleurs, on constate que, du coté de Jésus, la domination étrangère sur son pays n’est jamais une entrave à l’exercice de sa mission. Il a comme objectif de présenter aux siens le vrai visage de Dieu et il le fait en s’opposant aux forces du mal, peu importe leur provenance.
Source: Le Feuillet biblique, no 2286. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
Chronique
précédente :
Le royaume, c'est sérieux!
|