Devenir justes
Le pharisien et le collecteur d'impôts : Luc 18, 9-14
Autres lectures : Siracide 35, 12-14.16-18; Psaume 33(34); 2 Timothée 4,6-8.16-18
De nos jours, il est mal vu de juger autrui. « Il ne faut pas juger les autres », entend-on souvent. Juger serait prétentieux et peu évangélique. Qui sommes-nous pour juger? Il faudrait laisser chacun à sa conscience et s’en remettre à Dieu pour le verdict. Pourtant, on a aussi horreur de voir Dieu comme un juge; cette image a terrorisé plus d’une génération. La figure d’un Dieu juge serait dépassée, à bannir de notre vocabulaire; elle appartiendrait à une autre époque, heureusement révolue. Alors, avons-nous fini avec la figure du juge et l’action de juger? N’allons pas trop vite, nous pourrions y perdre le jugement…
Jugement, justice et pardon
En effet, si juge, juger et jugement sont devenus impopulaires, pour ne pas dire politiquement incorrects, c’est qu’ils sont associés spontanément avec sévérité, insensibilité, condamnation. Nous craignons un Dieu juge parce qu’il ne serait pas un Dieu aimant ou miséricordieux, parce qu’il ne serait pas en droit de pardonner, parce qu’il serait obligé de nous condamner. En régime chrétien, nous sommes devenus hyper-conscients de la notion de péché, hyper-sensibles au fait que personne ne sera jamais parfaitement juste ou saint, que nous avons tous besoin de la miséricorde divine (merci saint Paul!), et donc, frileux devant le constat que nous pourrions tous être légitimement condamnés…
Parce que nous sommes hyper-conscients de notre faillibilité, nous refusons aussi de juger, car nous nous tromperions assurément et nous répandrions plutôt l’injustice. De plus, en nous abstenant de juger, nous sommes en droit d’exiger la même chose d’autrui… et donc de ne pas être condamnés!
À force de récuser le jugement, nous sommes en train de le dévaluer, de le rendre insignifiant et de perdre du même coup toute avancée possible dans le Règne de justice promis par Jésus. Car, qu’on le veuille ou non, Jésus a parlé de justice, comme bien des prophètes avant lui. Certes, le Christ a enseigné le pardon, mais il n’a jamais effacé l’exigence de justice au nom du pardon. En fait, pour Jésus, le pardon est une des manifestations les plus éclatantes de la justice de Dieu.
L’art de bien juger
Considérons la justice autrement. Elle est rendue possible par notre faculté de jugement. En cela, nous sommes faits à l’image de Dieu. Juger, c’est se faire une idée sur la vérité des personnes, des actions et des choses. Nous apprenons à nos enfants à juger du danger d’une situation, de ce qui est bien ou mal, des mauvaises fréquentations… Nos enfants se trompent et nous-mêmes aussi, mais cela veut simplement dire que nous devons toujours apprendre à mieux juger, pas que nous devrions nous en abstenir! Nous ne pouvons pas pratiquer la justice, aidez à rendre ce monde plus juste pour tous et devenir justes, si nous ne cultivons pas l’art de bien juger, si nous n’exerçons pas notre jugement. En fait, nous devons nous y pratiquer le plus souvent possible, sans que cela implique de condamner tout le monde autour de nous!
La parabole du pharisien et du publicain proclamée ce dimanche est un exercice de jugement. D’abord : les apparences sont trompeuses. La parabole nous met en garde contre tout jugement fait sur l’apparence. Le pharisien a l’air d’être une excellente personne, juste et pieuse, tandis que le publicain susciterait en nous spontanément la méfiance ou même l’indignation. Un pharisien étudie la Parole de Dieu et s’efforce de la mettre en pratique, tandis qu’un publicain collecte les impôts pour l’envahisseur. Le style de vie de l’un condamne celui de l’autre. Or, au cours de la prière, dans le tréfonds du cœur des personnes, le pharisien se révèle orgueilleux, complaisant avec lui-même, tout en portant un regard sévère sur le publicain, sans aucune preuve à l’appui. Le pharisien condamne le publicain parce qu’il est publicain et il se pense juste parce qu’il est pharisien. Il a beau jeûner deux fois par semaine et verser en charité le dixième de son revenu (c’est pas mal!), son jugement est faussé par les apparences.
Le publicain se tient à l’écart et n’ose même pas lever les yeux vers le ciel. Ce n’est pas de la fausse modestie; le publicain est conscient de son péché, péché dont nous, nous ne savons rien. Il s’adresse à Dieu et demande sincèrement pardon, en croyant que Dieu est miséricordieux envers les pécheurs, et en croyant qu’il peut changer, évoluer, s’améliorer. Jésus nous dit que rendu chez lui, le publicain était devenu juste. Il avait bien jugé son propre péché, sa capacité à devenir meilleur, et il avait bien jugé aussi la richesse de la miséricorde de Dieu. Le publicain ne s’était pas condamné lui-même simplement par son apparence de publicain. Il était allé au fond des choses, au fond du cœur : le sien et celui de Dieu.
La parabole nous apprend donc que les gens ne sont pas « justes » ou « pécheurs » tout court. Leur justice n’est jamais acquise une fois pour toutes, mais elle n’est jamais totalement perdue non plus. La parabole nous invite à devenir justes, en cultivant un jugement qui va au fond des choses et qui ne se contente pas des apparences. L’infinie miséricorde de Dieu et notre capacité plus restreinte à pardonner ne nous épargnent jamais l’effort salutaire de voir clair, de bien juger, avant même de pardonner.
Le bon jugement de Dieu (Sirac 35, 12-14.16-18)
Le Seigneur est un juge qui ne fait pas de différence entre les hommes (Ben Sirac 35,12).
Nous serions vraiment fous de nous passer d’un Dieu qui serait bon juge, qui aurait non seulement la capacité mais aussi la volonté de bien juger. Si Dieu juge mal ou ne juge pas, nous sommes perdus! Notre monde sombrerait dans le chaos et Dieu ne s’en rendrait même pas compte… Le sage Ben Sirac, au contraire, se fait un plaisir de louer le bon jugement de Dieu, qui ne se laisse pas tromper par les apparences et qui ne se laisse pas soudoyer par les riches. Le sage constate les injustices de ce monde, mais il espère en un Dieu qui écoute la prière des opprimés et qui déjoue les complots des puissants.
La confiance de Paul au soir de sa vie (2 Tm 4, 6-8.16-18)
Le Seigneur, le juge impartial (2 Tm 4, 8)
Au soir de sa vie, enchaîné et condamné, l’apôtre Paul s’en remet à la justice de Dieu, qui répare les injustices vécues en ce monde. Cela ne l’empêche pas de prier pour ceux qui l’ont abandonné et condamné : il les remet à la miséricorde divine et il souhaite vivement que Dieu ne leur en tienne pas rigueur. La justice ne s’oppose pas à l’amour et au pardon, elle les précède et leur donne un sens. Prions pour le pardon de Dieu, cultivons notre bon jugement et tâchons de devenir justes, à la lumière de la Révélation.
Source: Le Feuillet biblique, no 2244. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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