Tout un programme!
Renoncer à tout pour suivre Jésus : Luc 14, 25-33
Autres lectures : Sagesse 9, 13-18; Psaume 89(90); Philémon 1,9b-10.12-17
La rentrée de septembre est une étape délicate pour toute personne engagée dans une paroisse, un mouvement, une association. Il faut réviser la gamme des engagements obligés ou volontaires qui compléteront la trame des journées d’automne et d’hiver. Choisis avec soin, des engagements bénévoles peuvent enrichir notre ordinaire. Choisis à la hâte, ils vont au contraire provoquer des encombrements d'agenda difficiles à gérer. Et surtout, s'ils sont choisis à la légère, ces ajouts à notre calendrier peuvent nous accaparer, au point de masquer la raison profonde qui nous pousse à faire plus que le « strict nécessaire » de notre devoir d'état.
Le menu des lectures bibliques de ce dernier dimanche d’été semble conçu pour les personnes qui désirent s’engager à la suite de Jésus. Le fil conducteur de ses propos, dans l’évangile, convient particulièrement bien à la saison des discernements. Par des paroles fortes, Jésus invite à mesurer les conséquences de notre choix fondamental, celui de vivre en disciples. Disparate à première vue, le menu biblique offert dans les autres lectures s’avère en fait très cohérent : les deux premières lectures sont bien arrimées avec certains propos de l’évangile.
Un nouveau point de vue Luc 14, 25-33
À première vue, les paroles de Jésus semblent négatives. Elles expliquent « comment ne pas être disciple ». Qui ne renonce pas à ses liens familiaux ne peut être disciple. Qui ne porte pas sa croix ne peut pas être disciple. Et qui ne renonce pas à ses biens ressemble à quelqu’un qui fait des projets peu réfléchis.
Quel est le sens à tirer de ces propos qui ne ressemblent pas à « l’évangile de l’amour » qu’on imagine si souvent? Il faut d’abord replacer ces déclarations de Jésus dans le contexte du chapitre 14 de l’évangile. Invité à un repas chez un pharisien, Jésus bouleverse les règles du donnant – donnant qui caractérise le code de politesse des régions méditerranéennes. Suggérer à son hôte de remplir sa maison de gens incapables de lui rendre la pareille est une remise en question sérieuse des règles implicites de comportement en société.
Les paroles dures que nous avons lues aujourd’hui s’inscrivent dans ce contexte de remise en question fondamentale. Jésus propose aux disciples une nouvelle manière de vivre. Jésus entend les faire sortir de leur zone de confort. Il leur propose d’adopter une famille de substitution, celle des personnes qui marchent à sa suite. Dans ce contexte, le renoncement à la famille selon la chair ou aux ressources qui y sont associées fait davantage sens. Car les choix des disciples s'opèrent en fonction d'une légitimité nouvelle et différente.
Dans l'évangile, Jésus propose à la foule ce point de vue qui incite à dépasser les frontières familiales normales. La marche à la suite de Jésus doit intégrer la perspective de la Passion, sinon elle n'est qu'une illusion passagère. Aussi ridicule que la rêverie du bâtisseur de tour, celui qui n'a pas évalué la dépense et vérifié s'il peut achever. Aussi irresponsable qu'un roi mégalomane qui s'attaque à une force militaire deux fois plus grande que la sienne, sans commencer par négocier la paix. Être disciple de Jésus coûte quelque chose. Et cela rapporte beaucoup, à condition d'avoir mis dans la balance tout son potentiel relationnel… après mûre réflexion.
Un éloge de la pondération Sagesse 9, 13-18b
Deux siècles avant le début du christianisme, le livre de la Sagesse évoquait la réflexion requise par la vie de disciple. Le jeune roi Salomon arriva jadis au pouvoir après le magnifique règne de son père David. La Bible raconte à quel point ce novice était déjà sage. Il prit le pouvoir avec la conscience de ne pas tout savoir. La lecture présente la troisième partie de sa prière pour demander la sagesse. Dans son désir de connaître les intentions et les volontés divines, Salomon constate qu’il doit prendre ses distances par rapport aux fragiles capacités humaines. Il peut ainsi accueillir le don de Dieu et en constater les bons fruits.
Dans notre opération « discernement de début d’année », nous donnons-nous la peine de remonter à la source de nos inspirations? Pour opérer un choix raisonnable, laissons-nous un peu d'espace à l'Esprit de Dieu? Au-delà de nos réflexions mesquines et de nos pensées chancelantes (pour reprendre les mots de la lecture), le don divin de la sagesse peut nous donner un peu d'altitude. Voilà une belle réserve de souffle pour trouver de nouveaux points de vue!
Forts de ce don de Dieu, nous pouvons éviter les pièges dénoncés par Jésus. Avec nos projets d’engagement, nous ne bâtirons pas des édifices aux fondations fragiles. Nous ne partirons pas en guerre avec des ressources insuffisantes. Au contraire, nos gestes enracinés dans la Sagesse nous permettront de profiter longtemps de la joie d’être désormais membres de la famille de Dieu.
Des relations réinventées Philémon 9-10, 12-17
La deuxième lecture présente l’unique extrait de la très courte Lettre à Philémon proclamé au fil des dimanches. En effet, c’est aujourd’hui la seule occasion en trois ans où le Lectionnaire dominical offre quelques lignes de cette correspondance de Paul.
Le propos peut sembler loin de notre mode de vie. Ne négligeons pas la portée de ce document extraordinaire! Que se passe-t-il lorsque la sagesse divine féconde notre vie de disciple? La deuxième lecture répond à cette question importante. La petite lettre de Paul décrit comment la vie des disciples peut être améliorée sans qu'il soit nécessaire de faire la révolution.
Paul est confronté à la dure réalité sociale de l'esclavage, si répandue et si acceptable en son temps. Il ne se lance pas dans une guerre tout azimut pour remettre en question cette structure sociale. Ce serait peine perdue! D’ailleurs, Paul lui-même se présente souvent comme le serviteur de Jésus, littéralement le doulos, l’esclave de Jésus!
Paul propose au riche Philémon de s'appuyer sur son baptême pour changer sa relation avec son esclave Onésime. En effet, Paul a enfanté les deux dans la foi au Ressuscité. Le maître est devenu frère de l’esclave car il partage la même foi que lui. Malgré les apparences de continuité, la vie sociale sera désormais radicalement différente.
Ainsi, Paul utilise une composante-clé de la vie sociale de l’époque, la relation patron-client, pour réarticuler de l’intérieur les relations entre les croyants. Dans le nouveau cadre de la vie de filles et de fils adoptifs de Dieu, les manières de faire courantes dans l’Empire romain sont transformées. Même la relation maître-esclave peut véhiculer une harmonie inspirée de la vie avec Dieu.
Un regard différent sur notre vie ensemble
La réflexion de Paul incarne les préoccupations de l’évangile de ce jour. En effet, les propos de Jésus se comprennent dans le contexte où il remodèle le cadre familial et social habituel. Fidèle à cette action de son Seigneur, Paul donne une valeur ajoutée aux réalités sociales de son époque, le patronage bienveillant et l’esclavage.
Cela nous ouvre de nouvelles perspectives pour notre bénévolat. Nous ne devons pas craindre de transformer de l’intérieur les réalités sociales de notre époque. Pas besoin d'attendre que le monde entier soit à mon goût pour y trouver place! Vivre en disciple de Jésus donne un point de vue différent sur toute chose. Les gestes normaux de la vie courante deviennent signes de salut.
C’est charmant de générer de-ci de là des slogans pastoraux bucoliques… mais avons-nous quelque chose de différent à proposer, qui jette un pont entre le projet de Dieu et les besoins de la société du temps présent? En présentant Jésus qui invite à un nouveau départ dans les relations humaines, Paul montre bien les conséquences pratiques de la nouvelle appartenance des disciples de Jésus.
Source: Le Feuillet biblique, no 2237. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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