Quand l'amour conduit au pardon
La pécheresse aimante et pardonnée : Luc 7, 36 - 8, 3
Autres lectures : 2 Samuel 12, 7-10.13; Psaume 31(32); Galates 2, 16.19-21
À huit jours du début officiel de l’été, nous lisons ce dimanche un épisode de l’Évangile qui commence comme plusieurs de nos rencontres de vacances. Un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table (Lc 7,36). Voilà de quoi nous faire rêver à ces repas entre amis qui font les délices des belles soirées d’été. Mais ce qui s’annonçait comme un repas amical est interrompu par un incident imprévu. Survint une femme de la ville, une pécheresse. Elle avait appris que Jésus mangeait chez le pharisien, et elle apportait un vase précieux plein de parfum. Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, à ses pieds, et ses larmes mouillaient les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et y versait le parfum (vv. 37-38).
De la visite inattendue
En entendant parler de cette femme, notre mémoire se met en marche. À cause d’une certaine tradition, nous pensons tout de suite à Marie de Magdala. Nous pensons aussi au repas que Jésus a pris à Béthanie peu de temps avant sa mort. Pendant qu’il était à table, une femme entra, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum très pur et de grande valeur. Brisant le flacon, elle le lui versa sur la tête (Marc 14,3 ; voir Matthieu 26,6-13 ; Jean 12,1-8). Mais si nous laissons ainsi aller notre imagination, nous risquons de passer à côté du message de l’Évangile. Luc ne nous révèle ni le nom de cette femme, ni la nature de son péché. Il insiste plutôt sur le malaise suscité par l’entrée de cette femme dans la salle du repas. Voilà le mouton noir du village qui arrive sans avoir été invité ! Pire encore, ses gestes sont inacceptables. Elle qui est impure s’approche et mouille de ses larmes les pieds de l’invité d’honneur, lui communiquant ainsi son impureté. Elle dénoue ses cheveux, ce qu’une femme ne fait pas en public dans la société de l’époque. Avec ses cheveux, elle essuie les pieds de Jésus. Elle les couvrait de baisers et y versait le parfum (Luc 7,38). Avec tout cela, on peut facilement comprendre la réaction de Simon le pharisien.
Une surprise nous attend cependant quand Luc nous rapporte ce que Simon se dit en lui-même. Le jugement du pharisien ne porte pas tant sur la femme que sur Jésus qui se laisse ainsi approcher. Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse (v. 39). La venue de cette femme dans la salle de banquet nous apprend donc quelque chose de nouveau. En voyant un pharisien inviter Jésus, nous aurions pu le croire favorable à celui-ci, mais vu la suspicion qui monte au cœur du pharisien, on peut mettre en doute les motifs de son invitation. Dès que Jésus laisse cette femme le toucher, le pharisien met en doute son identité. Je croyais que c’était un prophète, mais il n’en est rien.
Une parabole qui tombe à point
La situation est tendue et Jésus le sent bien. Pour désamorcer le tout, il prend la parole et raconte une parabole. Rien de tel qu’une bonne histoire pour détendre l’atmosphère. Mais c’est une arme à deux tranchants. « On sait qu’une parabole a pour but de faire réfléchir quelqu’un sur la situation qu’il vit, mais sans qu’il en ait conscience. Nous avons bien du mal à être objectifs quand il s’agit de nous-mêmes. Une parabole nous présente notre propre histoire, mais la raconte comme s’il s’agissait d’un autre »1.
C’est vraiment le cas ici. À première vue, la parabole que raconte Jésus a peu à voir avec la situation qu’il cherche à dénouer. Un créancier avait deux débiteurs; le premier lui devait cinq cents pièces d'argent, l’autre cinquante. Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait rembourser, il remit à tous deux leur dette (vv. 41-42). Qui peut être identifié au créancier? À qui pense donc Jésus quand il parle de deux débiteurs? Il s’agit, à première vue, d’une histoire neutre qui ne regarde en rien ce qui vient de se passer autour de la table du pharisien. D’ailleurs, Jésus ne demande pas à son hôte de se prononcer sur l’identité des débiteurs : Lequel des deux l’aimera davantage? (v. 42). Simon le pharisien répond que le débiteur à qui l’on remet la plus forte somme aimera davantage le créancier généreux qui fait grâce. Tu as raison, lui dit Jésus » (v. 43). Mais en quoi cela vient-il éclairer le geste de la femme envers Jésus et le jugement négatif du pharisien provoqué par le fait que Jésus se laisse toucher par elle?
Cet homme, c’est toi ! (2 S 12,7)
Pour que Simon le pharisien puisse faire le lien entre cette parabole et ce qui vient de se passer chez lui, il doit changer son regard. Il ne voyait en cette femme qu’une pécheresse. Et à cause de l’action de celle-ci, il ne voyait plus en Jésus qu’un maître (v. 40) dont il fallait se méfier parce qu’il n’était pas un véritable prophète. Jésus l’invite à regarder de nouveau : Tu vois cette femme…? En même temps, il l’invite à se voir lui-même avec un regard neuf. En ne traitant pas Jésus comme on le faisait à l’époque avec les hôtes de qualité, il a fait preuve de peu d’amour. La femme, elle, a su montrer un amour qui ne se laisse pas arrêter par les convenances. D’où la conclusion de Jésus : Je te le dis : si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c'est à cause de son grand amour (v. 47).
Simon n’est pas le seul qui est invité à regarder cette femme avec des yeux nouveaux. Nous qui accueillons cette parole dans nos cœurs aujourd’hui recevons la même invitation. Comme le pharisien de l’Évangile, toutes les fois que nous venons à l’église célébrer l’eucharistie, nous accueillons Jésus à notre table. Contrairement à Simon le pharisien, nous ne doutons nullement de la qualité de prophète de Jésus. Il est, nous le savons bien, le maître qui ne cesse de nous donner sa parole de vie. Bien plus, nous confessons qu’il est Christ et Seigneur. Et cela est très bien.
Pourtant, comme Simon et ses invités, nous ressentons parfois un malaise en face du pardon des péchés. Trop souvent, à cause de mauvaises expériences vécues dans le cadre du sacrement de la réconciliation, ne nous arrive-t-il pas de fermer nos cœurs au fait que nous sommes pécheurs ? Ne nous arrive-t-il pas aussi de nous priver de l’amour miséricordieux de notre Dieu, lui qui ne cesse de nous offrir son pardon et sa guérison ? Le Seigneur Jésus aimerait tant nous voir lui donner plus souvent l’occasion de nous redire : Tes péchés sont pardonnés… Ta foi t’a sauvée. Va en paix! (vv. 48.50).
Quand il nous raconte ce qui s’est passé chez Simon le pharisien ce jour-là, saint Luc ne nous dit pas quelle fut la réaction de Simon et de ses convives. Ont-ils changé d’idée par rapport à Jésus? Ont-ils appris à regarder cette femme avec les yeux de Dieu? Sont-ils entrés en eux-mêmes pour se reconnaître pécheurs? Sont-ils rentrés chez eux en ayant goûté au pardon et à l’amour de Dieu qui se manifeste en Jésus son Fils? À nous d’écrire dans le quotidien de nos vies le reste de cette page d’Évangile. Puisse notre amour être à la mesure du cœur du Christ.
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1 Étienne Charpentier, « Le prophète ami des pécheurs », dans Assemblées du Seigneur, 42 (1970), p. 89.
Source: Le Feuillet biblique, no 2234. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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