Chemins de foi
La visite des mages : Matthieu 2, 1-12
Autres lectures : Isaïe 60, 1-6; Psaume 71(72); Éphésiens 3, 2-3a.5-6
On connaît, chez au moins deux auteurs latins de l'Antiquité, des récits de Mages perses qui, ayant vu se lever une étoile, se mirent en route vers Rome pour honorer l'empereur Néron! Et qui, une fois l'avoir fait, rentrèrent dans leur pays « par un autre chemin ». Familier, non? L'histoire des Mages serait donc un beau conte connu des peuples de l'Antiquité. De même qu’est répandue, à cette même époque, la croyance selon laquelle, lors de la naissance d'un grand personnage de l'humanité, une étoile apparaissait dans le ciel.
Que faut-il en conclure? Que Matthieu - le seul des évangélistes d'ailleurs à nous raconter ce récit des Mages - plagie? Qu'il nous trompe? Et j'entends déjà les inquiétudes : « Si ce récit n'est pas « historique », à quoi peut-on alors se fier dans les Évangiles? » Attention! Matthieu ne veut pas nous tromper, mais nous dire la vérité à propos de cet enfant qui vient de naître à Bethléem, mais parfois - et souvent dans la Bible - la vérité peut être dite autrement que par un récit exact de type journalistique.
Matthieu récupère donc une histoire d'étoile et de Mages connue du 1er siècle, pour nous dire la vraie royauté de Jésus. C'est une théologie en images qui nous est servie en cet évangile de l'Épiphanie. Si Matthieu choisit de « recycler » cette histoire des Mages et de la placer au début de son évangile, c'est qu’elle lui offre une introduction remarquable qui lui permet à la fois d’affirmer l’identité (royale, messianique et divine) de Jésus, tout en exposant symboliquement des thèmes qui lui sont chers dans l’ensemble de son évangile : le refus des juifs de reconnaître en Jésus leur messie, l’accomplissement des Écritures, l’annonce de l’Évangile à toutes les nations (Mt 28,19).
Une étoile révélatrice…
Symboliquement la levée de l’étoile « parle » aux païens comme aux Juifs, mais différemment, c'est-à-dire qu'elle révèle à chaque groupe quelque chose du mystère de Jésus. Aux païens, l'étoile dit la naissance d'un roi (selon la croyance antique ci-haut mentionnée), en veut pour preuve la demande des Mages arrivant à Jérusalem : Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui (Mt 2,2). En même temps, le fait que l'étoile leur soit apparue à eux, des Mages d'Orient et donc des païens, montre bien qu'eux aussi sont « élus », invités à accueillir le Messie promis à Israël. Le récit des Mages dit bien, qu’en Jésus, le salut est ouvert à l’univers et non plus simplement à Israël.
Aux Juifs, l'étoile et la venue des Mages disent autre chose. Cette étoile se trouve dans la Bible plutôt que dans le ciel. Plus précisément l'étoile apparaît dans une prophétie du livre des Nombres sortant de la bouche de Balaam, un curieux Mage païen (Tiens donc! Lui aussi!), qui prédira ceci : Je le vois, mais ce n'est pas pour maintenant; je l'observe, mais non de près: De Jacob monte une étoile, d'Israël surgit un sceptre... (ou : un homme, selon la version grecque de la Septante). Cette étoile de Jacob est donc un homme que la tradition juive associait au roi David et au Messie devant venir, issu de sa lignée. Cette étoile qui se lève, c'est Jésus lui-même qui naît à Bethléem selon les Écritures, comme David son aïeul.
Puis la venue des Mages de pays lointains convergeant vers Jérusalem en portant leurs richesses n'est pas sans évoquer d'autres textes de l'Ancien Testament que les Juifs connaissaient, textes associés au bonheur qui accompagnera l'arrivée des temps messianiques. La première lecture (Isaïe 60,1-6) et le psaume (Ps 71(72)) de ce dimanche fournissent deux exemples de ces « joyeuses » annonces de temps meilleurs : Les trésors d'au-delà des mers afflueront vers toi avec les richesses des nations... Tous les gens de Saba viendront, apportant l'or et l'encens et proclamant les louanges du Seigneur (Is 60,5-6).Et encore : Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents... Tous les rois se prosterneront devant lui (Ps 71(72),10-11). Aux Juifs, cette étoile et ces Mages désignent clairement Jésus comme le Messie promis, accomplissant les Écritures.
Passage obligé: Jérusalem et les Écritures!
L'étoile et la science des Mages seules n'ont pas suffi à les guider vers l'enfant Messie. Pour arriver à Jésus, il leur a fallu passer par Jérusalem (lieu symbolisant le Judaïsme) et consulter les Écritures du Premier Testament. Symboliquement, comprenons que, pour trouver la vraie lumière, le vrai visage de Dieu, pour arriver à se prosterner devant Jésus (c'est-à-dire le reconnaître comme Dieu), le croyant en quête spirituelle ne peut faire autrement que de passer par la tradition biblique dont Jésus est l'accomplissement.
D'étranges cadeaux à offrir à un nouveau-né?
S'ils nous semblent étranges, c'est sûrement qu'ils ont une valeur symbolique. En fait, ces cadeaux nous enseignent encore Jésus. En donnant de l’or, ils disent la royauté universelle de Jésus, Christ Roi. En donnant de l’encens, parfum qu'on faisait brûler au Temple pour adorer Dieu, ils disent la divinité de Jésus. En offrant la myrrhe, résine odorante avec laquelle on embaumait les morts, ils annoncent, dès sa naissance, la passion et la mort que Jésus devra subir pour entrer dans sa gloire de Ressuscité.
Marche de joie ou immobilisme inquiet?
Les positions, les démarches, les attitudes des personnages sont aussi très révélatrices de sens dans ce récit. Les Mages sont en recherche, ils se mettent en marche, ils éprouvent une très grande joie (Mt 2,10) lorsqu'ils arrivent au but de leur quête, et, après avoir rencontré le Christ et l'avoir adoré, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin (Mt 2,12). Dans leur voyage, comment ne pas y voir, symbolisé, l'itinéraire même de la foi et de la rencontre du Christ, rencontre qui vient parfois au terme d'un long cheminement, qui sème en nous une très grande joie qui nous transforme et nous fait regagner notre pays (notre quotidien), par de nouveaux chemins, ceux de l'amour? Au contraire, Hérode, les chefs des prêtres et scribes d'Israël, eux qui savent où doit naître le Messie, restent à Jérusalem, immobiles, figés d'inquiétude. Dans cette sclérose et cette inquiétude de tout Jérusalem, qui fait si bien contraste avec la mobilité et la joie des Mages, comment ne pas voir, illustrée symboliquement par Matthieu, la situation bien concrète que vit et constate la jeune communauté de l'Église à la fin du premier siècle: le rejet de Jésus comme Messie par le judaïsme officiel, les relations tendues avec les Chrétiens en même temps que l'arrivée massive de païens dans l'Église naissante?
Au terme de l'histoire
Au terme de cette analyse sommaire, avec tout ce qu'évoque symboliquement ce récit, pardonne-t-on maintenant à Matthieu de nous avoir « raconté » une histoire aussi criante de « vérités » sur Jésus, sur l'Église, et sur nos vies de disciples?
Lumière et trésors
(Isaïe 60,1-6)
Sans doute que Matthieu avait ce texte en tête lorsqu'il remanie l'histoire des Mages. Il y est question de lumière qui se lève et de nations qui se mettent en marche vers Jérusalem, lui apportant ses trésors. Paradoxalement, ce texte de « lumière » apparaîtra dans une période de grande noirceur pour Israël: le difficile retour d'exil à Babylone. Paradoxalement, ce texte qui nous parle de richesses apparaîtra en période de grande pauvreté pour Israël : après des décennies d'exil qui l'auront blessée, détruite, pillée, Jérusalem est à rebâtir. Le prophète console son peuple par une joyeuse annonce de jours meilleurs à venir, il voit venir la fin de la nuit.
"...associés au même héritage"
(Éphésiens 3,2-3a.5-6)
Cet extrait de la Lettre aux Éphésiens dit, en langage logique, ce que nous dit l'évangile des Mages en langage symbolique : à savoir que l'entrée dans l'Église des nations païennes, l'élargissement du salut à l'ensemble de l'humanité par l'annonce de l'Évangile est, non seulement voulu par Dieu, mais fait partie de son plan mystérieux.
Source: Le Feuillet biblique, no 2211. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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