Que devons-nous faire?
La prédication de Jean le Baptiste : Luc 3, 10-18
Autres lectures : Sophonie 3, 14-18a; Psaume : Isaïe 12; Philippiens 4, 4-7
À la veille de Noël la prédication de Jean Baptiste retentit encore comme un appel à la conversion : Produisez donc des fruits dignes du repentir … tout arbre qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu (Lc 3, 8-9). Le temps de Noël suscite chaque année toutes sortes d’initiatives en faveur des enfants, des pauvres, des malades mais, au-delà de ces gestes généreux, produit-il un changement profond, une véritable conversion? C’est pourquoi la question posée à Jean par ses auditeurs demeure d’actualité : Que devons-nous faire?
La réponse de Jean Baptiste
On est frappé par la différence de ton entre le discours de Jean (vv. 7-9), d’une rare violence et les réponses données à ses interlocuteurs (vv. 10-14) qui paraissent des solutions de simple bon sens, sans exigence particulière. Bien sûr, on peut expliquer ce contraste par les sources différentes utilisées par Luc (les versets 7-9 ont leur parallèle en Mt 3, 7-12 alors que les versets 10-14 sont propres à Luc). En procédant ainsi Luc montre que la véritable conversion ne consiste pas en des gestes spectaculaires ni en l’adoption d’un mode de vie singulier. Jean n’exige pas que l’ensemble de la population adopte son régime (cf. Lc 3,4) mais il demande que soient respectées les exigences fondamentales de l’Alliance : On t’a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que Yahvé réclame de toi : rien d’autre que d’accomplir la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu (Mi 6,8; voir aussi : Dt 10, 10-13; Os 12,7).
Celui qui a deux vêtements… (v. 11)
La première question adressée à Jean vient des foules (v. 10). On doit donc comprendre la réponse comme une règle générale applicable à tout le monde. Jean reprend un enseignement déjà bien connu de l’Ancien Testament, le partage avec les plus pauvres. Pour lui il s’agit d’une exigence de base : Certes, les pauvres ne disparaîtront point de ce pays; aussi, je te donne ce commandement : tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays (Dt 15, 11; cf. aussi : Is 58, 6-7). À travers toute son œuvre, Luc est particulièrement préoccupé de montrer comment le souci des pauvres fait partie de l’existence chrétienne et comment l’avènement du Royaume doit changer concrètement le sort des plus démunis (cf. Lc 6,20; Ac 4, 34-35).
Des publicains vinrent aussi se faire baptiser (v. 12)
L’intérêt de Luc pour les publicains est bien connu. La présence de certains d’entre eux auprès de Jean Baptiste révèle que tous n’étaient pas des exploiteurs sans scrupules; quelques-uns au moins désiraient se convertir et se préparer à la venue du Royaume de Dieu : Tout le peuple qui a écouté, et même les publicains, ont justifié Dieu en se faisant baptiser du baptême de Jean (Lc 7,29). La suite de l’évangile montre que plusieurs d’entre eux étaient proches de Jésus (cf. Lc 5, 29-32; 15,1); certains devinrent même des disciples (cf. Lc 5, 22-28; 19, 1-10); enfin c’est le publicain qui se reconnaît pécheur qui est justifié par Dieu de préférence au Pharisien irréprochable (Lc 18, 9-14).
Les publicains n’appartenaient pas aux classes sociales les plus défavorisées mais ils étaient quand même marginalisés à cause de leur collaboration avec les Romains et du fait de leurs pratiques souvent douteuses dans la manière d’exercer leurs fonctions. Luc s’intéresse à eux parce que , comme les bergers (cf. Lc 2, 8-20) et les pécheurs en général (cf. Lc 5, 30-32; 15, 1-2), ils appartiennent à une catégorie d’exclus pour lesquels la Bonne Nouvelle du Royaume est particulièrement importante (cf. Lc 4, 18-19). Contrairement aux Pharisiens, qui exigeaient des publicains qu’ils abandonnent leur métier pour pouvoir participer pleinement à la vie de la communauté juive, Jean se contente de demander qu’ils exercent leurs fonctions avec probité, sans profiter de la situation pour s’enrichir. Une manière de montrer qu’on peut être fidèle à Dieu même en exerçant un métier méprisé.
Ne faites ni violence ni tort (v. 14)
On ne sait pas si les soldats venus entendre Jean Baptiste sont des Romains ou des Juifs engagés comme mercenaires. Dans la suite de l’œuvre de Luc les militaires romains sont présentés de manière plutôt positive (par exemple : le centurion de Capharnaüm, Lc 7, 1-10; le centurion témoin de la mort de Jésus, Lc 23,47; les militaires chargés de garder Paul, Ac 23, 16-22; et surtout le centurion Corneille, Ac 10). Dès l’entrée en scène de Jean Baptiste, Luc montre que la carrière militaire n’est pas incompatible avec une vie droite à la condition qu’on fasse son métier avec justice, en respectant les personnes et les biens. À l’époque il s’agissait presque d’une révolution si on considère les prises de positions résolument hostiles aux Romains et à leurs alliés qu’on trouve, entre autres, dans certains des écrits de Qumran.
Le peuple était dans l’attente (v. 15)
Il suffit de lire quelques pages de Flavius Josèphe pour se rendre compte du climat d’agitation qui régnait dans la région au début de l’ère chrétienne (par exemple : Guerres 2, 6). On peut comprendre l’attente du peuple qui souhaite la paix et la tranquillité … avec en prime, si possible, la liberté.
L’idée de l’attente prend, à l’occasion, un sens théologique en lien avec la venue du Royaume de Dieu (cf. 2 Pierre 3, 12-13). Le contexte, dans l’évangile, suggère que l’attente du peuple se rapporte à la venue du messie sans préciser ce que recouvre ce titre. Jean refuse pour lui-même cette fonction et il expose, dans un petit discours, sa vision du messie (vv. 16-17).
Celui qui vient est plus puissant que Jean (v. 16) à un point tel que celui-ci ne se sent pas digne de s’humilier devant lui pour détacher ses chaussures. Cette comparaison montre la distance qui sépare Jean de ce mystérieux personnage dans lequel les chrétiens ont reconnu Jésus. Deuxième caractéristique : Il vous plongera dans l’Esprit Saint et le feu (v. 16). Notre manière de célébrer le baptême dans l’Église latine, même si elle présente d’incontestables avantages sur le plan pratique, nous fait oublier la force du mot «baptiser» qui signifier : plonger, immerger. Pour un familier de l’Ancien Testament, être plongé dans le souffle et dans le feu évoque des images de jugement : Il fera pleuvoir sur les impies charbon de feu et souffre et dans leur coupe un vent de flamme pour leur part (Ps 11 (10), 6). En même temps, Luc prépare déjà la scène de la Pentecôte où le feu et le vent violent seront associés au don de l’Esprit Saint (Ac 2, 2-4). Enfin la perspective du jugement est affirmée plus clairement encore dans l’image du vanneur qui sépare le grain de la paille (v. 17).
Luc conclut en déclarant que ces propos sont Bonne Nouvelle (v. 18). Malgré son ton menaçant, l’enseignement de Jean amorce les temps nouveaux; la venue du Royaume est imminente, il faut se convertir. Du point de vue chrétien, il prépare l’apparition de Jésus dans la vie publique; en ce sens on peut l’appeler Évangile, Bonne Nouvelle.
Soyez toujours dans la joie (Phil 4, 40)
La source de la joie chrétienne est la bonne nouvelle du salut. Le Seigneur est proche, écrit Paul (Phil 4,5); le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur, disait déjà Sophonie six siècles avant la naissance de Jésus (So 3, 15). Et Jean reprend, comme en écho : Il vient, celui qui est plus puissant que moi (Lc 3,16). La liturgie invite les chrétiens à se réjouir non seulement de la fête de Noël toute proche mais surtout parce que le Seigneur est proche. La célébration de sa venue à un moment précis de l’histoire invite à le reconnaître et à l’accueillir à chaque jour car Dieu a choisi d’habiter ce monde qu’il a créé. Il (le) renouvellera par son amour (So 3, 17); et la paix de Dieu … gardera votre cœur et votre intelligence dans le Christ Jésus (Phil 4,7).
Source: Le Feuillet biblique, no 2208. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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