Fête-Dieu, Fête pour Dieu
Les préparatifs du repas pascal : Marc 14, 12-16.22-26
Autres lectures : Exode 24, 3-8 ; Psaume 115(116) ; Hébreux 9, 11-15
Dans mon enfance, les familles du village se disputaient l’honneur de dresser le reposoir pour accueillir la procession du Saint-Sacrement en ce jour de fête exceptionnel. Toutes les maisons situées le long du trajet emprunté par le cortège étaient soigneusement décorées de fleurs, de drapeaux et de guirlandes. Malgré ces traits un peu folkloriques – ou peut-être à cause d’eux – je garde un souvenir très vivant de ces journées. Ce jour-là le Christ, dans l’eucharistie, sortait de l’église et venait marcher dans les rues de chez nous, au milieu de ses disciples, comme il le faisait jadis sur les routes de son pays. La fête du Fils de Dieu était vraiment la fête de toute la communauté.
Certains ont voulu voir dans ces manifestations publiques, un triomphalisme répréhensible. Par conséquent, cette pratique a presque complètement disparu au cours des années 1970-1980. Depuis quelques années, elle revit timidement. Dans la mouvance du Congrès eucharistique de Québec (2008) on redécouvre l’importance de célébrer publiquement notre foi en l’eucharistie, don de Dieu pour la vie du monde.
En premier lieu, un repas
Avant d’être objet d’adoration, l’eucharistie est d’abord repas. Le récit de l’Évangile de Marc le souligne fortement. Il est inutile de revenir sur les interminables débats sur la date de la cène et la chronologie des événements. Pour Marc il est clair qu’il s’agit d’un repas pascal : Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour ton repas pascal? (v. 12). Il est intéressant de noter l’insistance mise sur la préparation de ce repas. Le mot préparer revient trois fois (vv. 12.15.16) et prêt une fois (v. 15). Évidemment, il s’agit en premier lieu des dispositions matérielles nécessaires pour accomplir correctement le rituel pascal (cf. Ex 12, 1-14). Par ailleurs, dans les évangiles, les mots de même racine ont souvent une portée théologique en relation avec la venue des temps nouveaux (cf. Mc 1,3) et l’avènement du Royaume (cf. Mt 24, 44; 25, 10). Non seulement le dernier repas de Jésus n’a pas été improvisé mais encore il prend une signification qui va bien au-delà de l’accomplissement des règles traditionnelles; Jésus et ceux qui partagent la table avec lui sont prêts pour les événements décisifs qui vont se produire.
En préparant la Pâque comme Jésus le leur avait demandé, les disciples ne soupçonnaient pas que leur maître allait changer complètement le sens de la fête. Désormais c’est de sa Pâque, son passage dont ses disciples feront le mémorial en refaisant les gestes qu’il fit ce soir-là.
Ceci est mon corps (v. 22).
Le récit de la dernière cène est trop familier aux catholiques pour qu’ils éprouvent quelque surprise en l’entendant ou en le lisant (même si les paroles de la liturgie sont légèrement différentes de celles rapportées par Marc). La situation était bien différente pour les disciples qui furent témoins des paroles et des gestes de Jésus. Quel sens pouvaient-ils attribuer à ces propos étonnants? De quelle clef de lecture disposaient-ils pour comprendre ce que faisait Jésus?
Il est bien entendu que ce qui se passa ce soir-là est sans précédent et les disciples n’ont pu le comprendre vraiment que plus tard, à la lumière de la résurrection.
Les gestes de Jésus sont très simples : partager un morceau de pain, faire circuler une coupe de vin; ils faisaient partie de ce qu’il était normal de faire en cette circonstance. Pour instituer l’Alliance nouvelle, il ne choisit pas l’aliment le plus caractéristique de la Pâque, l’agneau, mais des aliments de tous les jours auxquels il donne un sens nouveau.
D’ailleurs les paroles de Jésus (vv. 22.24-25) ne font aucune allusion à la Pâque mais plutôt à une autre étape de la sortie d’Égypte, la conclusion de l’Alliance : Ceci est mon sang (le sang) de l’Alliance répandu pour la multitude (v. 24). Il s’agit clairement d’une référence à la scène du livre de l’Exode que la liturgie donne à lire comme première lecture : Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous (Ex 24,8). Le rituel de conclusion de l’Alliance fait une place importante au sang versé et comporte aussi un repas en présence de Dieu (Ex 24, 11 – passage non retenu par la liturgie).
Jésus joint ainsi en un événement nouveau deux moments déterminants de l’histoire d’Israël : repas pascal et conclusion de l’Alliance. Cela est possible parce qu’il récapitule toute l’ancienne Alliance et la renouvelle dans sa mort et sa résurrection. Les gestes posés et les paroles prononcées font du partage du pain et du vin une annonce prophétique de ce qui va se réaliser quelques heures plus tard. À la manière des anciens prophètes qui posaient parfois des gestes surprenants pour réaliser par anticipation le contenu de leur message (cf. Jr 13, 1-11; 51, 59-64; Éz 12, 1-20) Jésus accomplit à l’avance le don de sa vie. Sa mort ne sera pas un échec mais une offrande libre ouvrant à toute l’humanité la porte de l’Alliance.
Je boirai un vin nouveau (v. 25).
Rappel de l’histoire du salut, actualisation de la mort et de la résurrection de Jésus, l’eucharistie est aussi anticipation du Royaume de Dieu. L’image du banquet est traditionnelle; on pense, par exemple, à Isaïe : Yahvé Sabaot prépare sur cette montagne sainte, pour tous les peuples, un festin de viandes grasses, un festin de bons vins (Is 25, 6). Paul explique aux Corinthiens que chaque eucharistie annonce la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne (1 Co 11,26). Le repas du Seigneur n’est pas tourné vers le passé mais vers l’avenir et vers l’éternité.
Voici le sang de l’alliance (Exode 24, 8).
Depuis les deux articles célèbres de G. Mendenhall en 1954 on reconnaît dans ce récit une adaptation du rituel par lequel les rois du Proche Orient concluaient leurs traités. Le souverain le plus puissant accordait à l’autre sa protection moyennant certaines conditions. Le fait que des auteurs bibliques s’inspirent de ce modèle permet de mieux comprendre le sens qu’on donnait à la relation d’Israël avec son Dieu.
L’initiative vient entièrement de Dieu; c’est lui qui décide de libérer les esclaves de l’Égypte pour en faire son peuple (cf. Ex 20, 2). En contrepartie, Israël s’engage à obéir à la volonté de Dieu (cf. vv. 3.7). Les deux deviennent partenaires d’un projet commun : Yahvé est le Dieu d’Israël et Israël est le peuple de Yahvé. Cette unité est signifiée par le rite du sang. On connaît, dans les textes extra bibliques, des rituels d’alliance où les partenaires échangeaient quelques gouttes de sang en signe de fraternité. Dans le cas où l’un des contractants est Dieu lui-même, le rituel est adapté; une partie du sang des victimes offertes en sacrifice est aspergée sur l’autel qui représente Dieu (v. 6) et l’autre sur le peuple (v. 8). Ce geste signifie la communauté de vie qui unit désormais Dieu et le peuple; c’est véritablement le sang de l’Alliance (v. 8).
Une fois pour toutes (Hébreux 9, 12).
L’argumentation de l’Épître aux Hébreux tend vers un seul but : montrer que l’Alliance nouvelle, établie par le Christ, est infiniment supérieure à l’ancienne. Cette alliance nouvelle et définitive est conclue, non pas avec le sang des animaux (cf. v. 12) mais avec celui du Christ qui s’offre à Dieu comme victime parfaite (v. 14). Alors que les sacrifices de la Loi devaient sans cesse être répétés, celui du Christ est unique. Il réconcilie l’humanité avec Dieu et lui ouvre les portes du Temple véritable, celui du ciel (cf. vv. 11.15).
Dans la célébration de l’eucharistie l’Église n’offre pas à Dieu un nouveau sacrifice, elle actualise celui du Christ et le rend présent partout et en tout temps. Chaque eucharistie est une fête de Dieu, une célébration de son Alliance avec notre humanité.
Source: Le Feuillet biblique, no 2191. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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