D'une annonce de la passion à l'autre
Deuxième annonce de la Passion : Marc 9, 30-37
Autres lectures : Sagesse 2, 12.17-20 ; Psaume 53(54) ; Jacques 3, 16 - 4,3
Le texte évangélique de ce dimanche marque le début d’une péricope qui s’échelonnera sur quatre dimanches, soit jusqu’au 28e dimanche. Elle commence avec l’annonce par Jésus lui-même de sa mort et de sa résurrection : Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera (9,31), pour se terminer avec la même annonce, bien qu’en termes différents : Le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes; ils le condamneront à mort… et trois jours après il ressuscitera (10, 33). Cette dernière annonce n’apparaîtra cependant pas dans la lecture continue des dimanches. Elle sera en quelque sorte «échappée» entre le 28e et le 29e dimanche. On aura peut-être jugé bon qu’après la première annonce au 24e dimanche (8, 31) et la deuxième au 25e dimanche (9, 31), qu’il n’était pas nécessaire d’en ajouter une troisième (10, 33-34)! C’était oublier cette particularité de Marc qui est de présenter à ses lecteurs un messie se situant aux antipodes d’un messie triomphant et des disciples qui ne comprennent pas! Quoi qu’il en soit, on ne doit pas perdre de vue que la péricope évangélique s’étendant du 25e au 28e dimanche (Marc 9,30 - 10,30) est située entre deux annonces faites par Jésus lui-même de sa propre mort. Quant à l’annonce de sa résurrection, force est de constater que pour les disciples cela ne veut absolument rien dire.
Un contexte de mort
C’est donc le contexte de mort qui domine. Le radicalisme des enseignements encadrés par ces deux annonces de mort ne se comprendra alors qu’à la lumière de ces deux prédictions apparaissant comme deux phares, deux puissants réflecteurs, apportant l’éclairage nécessaire à la compréhension de tels enseignements qui ne peuvent que surprendre voire même scandaliser.
Le lecteur de Marc est un disciple potentiel de Jésus sinon déjà un disciple. Or le disciple n’est pas plus grand que le maître. Lui aussi sera appelé à subir les mêmes traitements dont on trouve une certaine évocation dans la première lecture de ce dimanche : Attirons le juste dans un piège […] Soumettons-le à des outrages et à des tourments […] Condamnons-le à une mort infâme (Sagesse 2, 12. 17-20).
L’enseignement prodigué dans cette péricope répartie sur quatre dimanches a donc comme dénominateur commun la mort et la résurrection du maître. En ce 25e dimanche il s’adressera d’abord aux Douze : Il appela les Douze et leur dit… (9, 35), pour ensuite, au 26e dimanche, s’adresser aux disciples par une série de mises en garde contre le sectarisme : Celui qui n’est pas contre nous est pour nous (9, 40); contre les scandales : Celui qui entraînera la chute d’un seul de ces petits… (9, 42); contre les occasions de chute : Si ta main t’entraîne au péché… (9, 43). Le radicalisme de l’enseignement du 27e dimanche sur le mariage en réponse à la question des pharisiens de même que celui du 28e adressé à l’homme riche doit également être lu dans le même contexte.
Un enseignement réservé aux disciples
Un enseignement aussi inédit, aussi inusité, ne peut être divulgué aux foules. Toujours en quête de sensationnalisme, elles ne comprendraient pas. Le moment est venu pour le maître de les éviter pour se consacrer à la formation de ses disciples. Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache (9, 30). L’enseignement qui suivra sera donc réservé aux disciples. Leur incompréhension sera cependant notoire et Marc ne se gênera pas pour le dire. Au moment où il rédigeait son évangile il ne pouvait pas ne pas penser aux difficultés qu’éprouvait sa communauté à accepter un messie si peu glorieux ainsi qu’aux exigences requises pour le suivre.
Le verbe «traverser», au pluriel dans le texte grec, implique que Jésus et ses disciples «allèrent tout droit à travers la région de Galilée», laissant entendre que Jésus ne s’arrêta pas en route pour parler aux foules et faire des guérisons. Cette assertion est ratifiée par ces mots : et il ne voulait pas qu’on le sache. Le verbe «enseigner» suivra aussitôt, il enseignait en effet ses disciples, introduisant ainsi l’annonce de sa mort et de sa résurrection.
Mais les disciples ne comprenaient pas
La prédiction de la mort de Jésus et de sa résurrection constitue l’entrée en matière de son enseignement aux disciples. Ceux-ci ne comprennent pas ou feignent de ne pas comprendre. Le verbe agnoeô en grec rendu par «comprendre», qu’on ne retrouve qu’une seule fois dans l’Évangile de Marc, peut signifier «ignorer» au sens de «ne pas savoir »; mais il veut parfois dire «ne pas vouloir savoir». C’est la deuxième fois que leur maître leur fait une pareille annonce. La première fois, Pierre s’était mis en frais de tirer à part Jésus et de le réprimander. Mal lui en prit ! Retire-toi ! Derrière moi, Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes s’était-il vu répondre (texte de dimanche dernier : 8, 31-33). Cette fois-ci les disciples ont choisi de faire la sourde oreille. Veulent-ils éviter les conséquences que ce drame aurait pour eux ?
Les jalousies et les rivalités mènent au désordre (Jacques 3, 16)
Cette rupture de communication avec le maître engendre des attitudes qu’on retrouve dans l’extrait de la Lettre de Jacques proposé en deuxième lecture de la liturgie de ce dimanche : La jalousie et les rivalités mènent au désordre (Jacques 3, 16). On comprend les disciples de se taire lorsque Jésus les interroge sur la querelle qu’ils ont eue en chemin. Car c’est bien de querelle ou de dispute dont il s’agit. C’est le sens du verbe dialegomai rendu faussement par le verbe «discuter» dans le Lectionnaire. Alors que dans la question de Jésus le verbe dialogizomai est traduit à bon escient par «discuter».
C’est leur deuxième silence après celui qui a suivi l’annonce de la mort et de la résurrection de Jésus. La parole du maître remplira le silence des disciples. Précédé de la formule solennelle s’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit, l’enseignement qui va suivre revêt une importance capitale : Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous (9, 35). Cet appel à être le dernier et le serviteur n’a rien à voir avec un complexe d’infériorité ou l’insignifiance d’une âme d’esclave écrit Paul Lamarche dans «Évangile de Marc» : «Cette attitude, comme chez le Christ est l’expression de l’amour. […] Avec une lucidité qui fait mal, Marc s’en prend au point le plus vulnérable des hommes en général, et des chrétiens en particulier : le désir du pouvoir. Par ailleurs l’amour n’est qu’une caricature et une illusion s’il n’a pas réussi à se débarrasser de la tentation de dominer qui serpente dans le cœur de l’homme en se cachant derrière les meilleurs prétextes1».
Suivra une mise en scène autour de l’enfant qui viendra illustrer cet enseignement. Quand on sait qu’à l’époque, l’enfant faisait partie de ces catégories de personnes inaptes à exercer tous leurs droits, on commencera à entrer dans le mystère du Dieu véritable, celui qui se manifeste dans la faiblesse.
___________
1 Paul Lamarche, Évangile de Marc, Études bibliques, 996, p. 234.
Claude Julien, F.Ch.
Curé de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce
Source: Le Feuillet biblique, no 2196. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre
biblique de Montréal.
Chronique
précédente :
Qui suis-je pour toi?
|