Veiller dans l'espérance
Exhortation à la vigilance : Marc 13, 33-37
Autres lectures : Isaïe 63, 16b-17.19b; 64, 2b-7 ; Psaume 79(80) ; 1 Corinthiens 1, 3-9
Spe salvi, l’encyclique dont le titre se traduit Sauvés dans l’espérance a produit un nouvel intérêt pour la vertu d’espérance. À la suite de Benoît XVI, rappelons qu’elle figure dans la triade foi, espérance, charité, les trois vertus dites théologales parce qu’elles ont Dieu pour objet. L’espérance trouve son fondement dans l’enseignement même de Jésus qui demande à ses disciples de l’attendre dans sa seconde venue.
La parabole du maître parti en voyage ouvre le temps de l’Avent. On y raconte comment un homme riche, avant d’entreprendre un voyage, donne des directives à ses nombreux serviteurs. Il leur confie notamment tout pouvoir pour la gestion de sa propriété. Surtout il leur recommande de veiller pour l’accueillir à son retour, il ne sait quand. C’est pourquoi les serviteurs doivent veiller, même durant les heures de la nuit.
Il ne s’agit pas ici d’une allégorie où chaque détail correspondrait à une réalité spirituelle. Il faut plutôt, être attentifs à quelques mots forts qui transmettent le message.
- L’homme est appelé le maître de la maison, ce qui désigne Jésus, spécialement dans sa gloire, comme tête de l’Église.
- Le verbe « veiller » est répété quatre fois comme pour faire entrer la recommandation dans les cœurs. (Il est la traduction du verbe grec gregorein qui a donné le nom français Grégoire, signifiant donc « veilleur »). Veiller sous-entend l’espérance d’une rencontre avec Dieu lui-même et en conséquence, pour qu’elle se produise, le dépassement de soi est exceptionnellement exigeant: la veille a lieu durant les quatre tranches de la nuit: le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin.
- On a traduit par moment est le mot grec kairos. Il s’agit d’un jour tout à fait spécial dans l’histoire de la rédemption, celui d’une activité intense du Seigneur dans son plan de salut.
- Le mot serviteurs désigne les disciples de Jésus. Comment il traduit le grec doulos, il suggère une imitation de Jésus lui-même dans ses vertus, car à maints endroits du Nouveau Testament, il porte le nom de doulos comme serviteur par excellence. Les apôtres Pierre et Paul sont également appelés doulos, car ils sont les imitateurs les plus parfaits de Jésus.
La nuit du voyage
La parabole décrit une situation qui se passe la nuit. Les serviteurs doivent attendre le retour de leur maître durant un temps où les ténèbres paraissent exercer leur empire sur l’univers. Le conteur décrit la nuit avec ses quatre veilles, à la manière des Romains qui utilisaient cette façon de mesurer les heures. Nous constatons de ce fait que la perspective de l’évangéliste dépasse le cadre de la communauté chrétienne de Palestine et concerne l’espace politique le plus considérable de l’époque. En fait comme le suggère le contexte du chapitre 13, les paroles du Christ touchent l’humanité entière dans toute son extension spatio-temporelle. Le « voyage » signifie dans le langage des paraboles le temps entre la mort de Jésus et son retour à la fin des temps. C’est l’écoulement des années et des jours avec l’espérance cachée en filigrane : tout cela dans un monde qui de plus en plus aujourd’hui veut exclure Dieu de son itinéraire historique. Le créateur se trouve à l’origine des événements de l’histoire humaine; les récits populaires de l’Antiquité en font foi. Le couronnement de l’aventure humaine se situe encore en Dieu et la Bible contient des poésies sublimes pour en rendre compte. L’immanence de la présence divine en découle nécessairement, mais elle sera rejetée au début de l’époque moderne. La parabole du maître qui part en voyage rappelle la beauté d’une vision de l’histoire où la foi est présente.
L’autre parabole qui touche l’espérance dans le chapitre 13 de l’Évangile de Marc est celle de la femme qui attend une naissance. C’est le commencement des douleurs de l’enfantement (Marc 13, 8). La fin de la grossesse est appelée souvent délivrance et c’est le début d’un nouveau monde pour l’enfant et pour sa mère qui entre en relation d’affection avec l’enfant. N’hésitons pas à voir dans cet enfant une évocation de Jésus dont la naissance est célébrée dans la liturgie de Noël. Nous espérons beaucoup de ce renouveau spirituel offert à la communauté chrétienne dans le temps privilégié de la Nativité.
Prière et espérance
De façon très belle, écrit Benoît XVI, Augustin a illustré la relation profonde entre prière et espérance dans une homélie sur la Première lettre de Jean. Il définit la prière comme un exercice du désir. L’homme a été créé pour une grande réalité – pour Dieu lui-même, pour être rempli de lui. Mais son cœur est trop étroit pour la grande réalité qui lui est assignée. Il doit être élargi. « C’est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir; en faisant désirer, il élargit l’âme; en l’élargissant, il augmente sa capacité de recevoir ». Augustin renvoie à saint Paul qui dit lui-même qu’il vit tendu vers les choses qui doivent venir (cf. Philippiens 3, 13). Puis il utilise une très belle image pour décrire ce processus d’élargissement et de préparation du cœur humain. « Suppose que Dieu veut te remplir de miel (symbole de la tendresse de Dieu et de sa bonté): si tu es rempli de vinaigre, où mettras-tu ce miel? » Le vase, c’est-à-dire le cœur, doit d’abord être élargi et ensuite nettoyé, libéré du vinaigre et de sa saveur. Cela requiert de l’effort, coûte de la souffrance, mais c’est seulement ainsi que se réalise l’adaptation à ce à quoi nous sommes destinés. Même si Augustin ne parle directement que de la réceptivité pour Dieu, il semble toutefois clair que dans cet effort, par lequel il se libère du vinaigre et de la saveur du vinaigre, l’homme ne devient pas libre seulement pour Dieu, mais il s’ouvre aussi aux autres. En effet, c’est uniquement en devenant fils de Dieu, que nous pouvons être avec notre Père commun. Prier ne signifie pas sortir de l’histoire et se retirer dans l’espace privé de son propre bonheur. La façon juste de prier est un processus de purification intérieure qui nous rend capables de Dieu et de la sorte capables aussi des hommes. Dans la prière, l’homme doit apprendre ce qu’il peut vraiment demander à Dieu – ce qui est aussi digne de Dieu. Il doit apprendre qu’on ne peut pas demander des choses superficielles et commodes que l’on désire dans l’instant – la fausse petite espérance qui le conduit loin de Dieu. Il doit purifier ses désirs et ses espérances.
Source: Le Feuillet biblique, no 2163. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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