INTERBIBLE
Au son de la cithare
célébrer la paroleintuitionspsaumespsaumespsaumes
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Célébrer la Parole

 

orant
Imprimer

28e dimanche ordinaire A - 12 octobre 2008

 

 

Y a-t-il mélange dangereux ?

L'impôt dû à César : Matthieu 22, 15-21
Autres lectures : Isaie 45, 1.4-6a ; Psaume 95(96) ; 1 Thessaloniciens 1, 1-5b

Voilà une parole de Jésus qui l’a rendu célèbre et que l’on a retenue facilement. Le maître des paraboles a su s’exprimer en des formules brèves, qui frappent l’imaginaire et qui résument bien son message. Même en dehors de l’Église, des déclarations comme celle-là ont valu à Jésus d’être reconnu comme un véritable maître spirituel de l’humanité. Pourtant, la célébrité du dicton est une boîte de Pandore, dont l’ouverture risque de scandaliser plus d’un chrétien convaincu. Oserons-nous creuser un peu la signification de cette parole si inoffensive en apparence?

Laïcité et religion

De prime abord, la parole de Jésus semblerait prôner la fameuse laïcité ou la sécularité de l’État civil, et ce, dès le 1er siècle de notre ère! Voilà pourquoi bien des gens aujourd’hui peuvent se reconnaître dans cette vision et se réconforter de la position de Jésus de Nazareth à ce sujet. La terre et son gouvernement civil, matériel, social, économique, politique, culturel, appartiendrait à l’homme en exclusivité, représenté par la figure de « César », chef du monde séculier. De l’autre côté, le ciel et les réalités spirituelles comme la religion, le culte, la prière, les rites et les croyances, relèveraient du vécu intime des personnes, que seul Dieu connaît en vérité. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu serait croire, prier, dédier notre cœur et notre âme au ciel comme notre corps et notre avoir sont à la terre. En opposant César et Dieu, Jésus se trouverait en fait à libérer l’un de l’autre et à rendre possible la cohabitation pacifique des préoccupations civiles et religieuses dans toute société, en leur assignant deux champs d’action séparés, non concurrents. La terre à César, le ciel à Dieu. À chaque maître son dû : nos impôts au gouvernement et nos prières à Dieu.

D’après cette interprétation de l’enseignement de Jésus, celui-ci reprocherait aux gens de son temps de mêler les affaires politiques aux affaires religieuses, qui se devraient d’être dissociées. Certains pharisiens auraient voulu mettre en doute la fidélité religieuse juive de ceux qui payaient l’impôt à l’empereur romain, tandis que les partisans du roi Hérode, lieutenant de César, auraient souhaité qu’on reconnaisse la légitimité religieuse du pouvoir politique en place. Par sa célèbre parole, Jésus inviterait les uns et les autres à distinguer politique de religion.

Le gouvernement civil est-il respectueux de la volonté divine ?

N’est-ce pas le sens obvie de la déclaration de Jésus ? Je ne le pense pas. Nous projetons alors dans un texte vieux de deux mille ans nos préoccupations présentes et notre vision tout à fait moderne du monde. Si vous le voulez bien, laissons Jésus être un maître juif de son temps et nous étonner par un enseignement vraiment original, donné avec autorité, différent des idées toutes faites de ce qui est religieux et de ce qui ne l’est pas aujourd’hui.

Pharisiens et partisans d’Hérode ne se disputent pas à savoir si, en général, l’obéissance à la loi civile contrevient à la loi divine. Autant pour Jésus que pour César, pour Hérode et pour n’importe quel Pharisien, la loi civile doit s’appuyer sur la loi divine et lui être fidèle. Un État laïc ou séculier est tout simplement impensable à l’époque. La religion gouverne tout, imprègne toutes les sphères de la vie en société et de la vie privée. La question est plutôt de savoir si le gouvernement civil de César, prôné par son lieutenant Hérode et ses partisans, est respectueux de la volonté divine ou pas. Si César se moque de Dieu, il devient illégitime de lui payer l’impôt; tandis que si César fait respecter la loi de Dieu, il faut reconnaître son autorité morale en lui payant l’impôt. Pharisiens et partisans d’Hérode veulent donc coincer Jésus en le sommant de juger l’empereur et d’en appeler soit à la soumission civile, soit à la rébellion armée. Pour adoucir l’impact de la demande, ils complimentent Jésus sur son impartialité et sur son bon jugement.

Jésus ne se laisse pas prendre au piège. Il réussit à prendre position, la sienne, sans se faire coincer dans les positions contraires des Pharisiens et des partisans d’Hérode. Voici comment. Jésus demande à voir une pièce de monnaie, avec laquelle il faut payer l’impôt. Comme c’est la coutume, la pièce de monnaie porte l’effigie et la légende de l’empereur en place. La simple coutume de reproduire l’image d’un homme est offensante pour un juif du temps de Jésus. En effet, la Loi de Moïse interdit toute reproduction matérielle du vivant, de peur qu’images et sculptures ne deviennent des idoles. Puisque César se croit divin, en droit d’exiger la soumission de tous ses sujets, la pièce de monnaie est de fait une idole. Jésus ne saurait légitimer le pouvoir corrompu de l’empereur romain et sa prétention à la divinité, mais il ne saurait pas non plus promouvoir la révolte civile et le bain de sang qui s’en suivrait. Que dira-t-il ?

Dans un élan de souveraine liberté typique de lui, Jésus ridiculise le pouvoir et les prétentions de l’empereur. En disant « Rendez donc à César ce qui est à César », Jésus recommande de payer l’impôt et d’éviter un massacre inutile. Cependant, il le fait en suggérant que tout ce que César possède, ce sont des bouts de métal sans valeur réelle. « Redonnez à ce pauvre idiot les pièces qu’il a égarées, où il se prend pour un dieu », doit-on lire entre les lignes, à cause des questions précédentes sur l’identité d’origine de l’effigie et de la légende. Jésus est loin d’approuver les abus du pouvoir civil de César et il se prononce contre les prétentions de l’empereur à la divinité, mais il ne condamne pas en général toute autorité civile et il ne fait pas la promotion d’une insurrection armée pour rectifier la situation. Jésus recommande plutôt de rendre à Dieu ce qui lui appartient : notre respect, notre reconnaissance, notre adoration, ce qui implique de suivre la volonté divine et de ne pas abuser de nos pouvoirs envers autrui. En maître spirituel de son temps, Jésus nous invite à nous soumettre au véritable Seigneur de l’univers et à ne pas être dupes des fausses prétentions du politicien de l’heure.

 

 

Source: Le Feuillet biblique, no 2157. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

 

Chronique précédente :
Heureux les invités au repas du Seigneur