La
crainte de Dieu
Ne craignez rien : Matthieu
10, 26-33
Autres lectures : Jérémie 20, 10-13 ; Psaume
68(69); Romains
5, 12-15
Voilà une expression qui n'a pas bonne presse de nos jours ! Tellement qu'on l'a bannie de la liste traditionnelle des dons du Saint-Esprit telle que je l'ai apprise dans mon enfance. En fait les deux derniers dons : la pitié et la crainte de Dieu traduisent un même mot hébreu dans le texte d'Isaïe (11, 2-3) qui est à la base de cette liste. Ils expriment deux faccettes d'une même réalité, la crainte comme peur ressentie devant une menace ou comme sentiment de vénération devant celui qui est infiniment grand. Cette ambiguïté du concept de crainte cause souvent des difficultés pour interpréter correctement certains textes. L'évangile de ce jour est l'un de ceux-là.
Ne craingner rien (vv. 26.28.31)
Le thème de la crainte apparaît quatre fois dans ce texte : ne les craignez pas (v. 26), ne craignez pas (v. 28a), craignez (v. 28b), ne craignez pas (v. 31). Le contexe est celui de la mise en garde devant les persécutions que les apôtres auront à affronter. Qui doivent-ils craindre ? Et qui doivent-ils ne pas craindre ? Et de quelle crainte s'agit -il ?
La première consigne renvoie à ce qui précède. Ceux qui ont traité Jésus de Béelzéboul (cf. Mt 9, 34; 12, 22-24) traiteront ses disciples de la même manière. Ceux-ci ne doivent pas les craindre puisque leur sort est lié à celui de leur maître (Mt 10, 24-25). Voilà pourquoi ils ne doivent pas hésiter à proclamer clairement le message. L'Évangile est une force agissante qui ne peut rester caché; tôt ou tard, son action se révèlera au grand jour (vv. 26-27). Matthieu réagit peut-être ici à des situations précises où les missionnaires étaient tentés de se faire trop discrets pour ne pas heurter de front des adversaires éventuels. Le rappel des propos de Jésus doit stiumer leur courage et les convraincre d'aller de l'avant.
Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps mais ne peuvent tuer l'âme (v. 28a). L'allusion aux persécutions est transparente. Sans être une citation explicite, cette consigne reprend un thème bien connu de l'Ancien Testament : les fidèles ne doivent pas avoir peur des impies (cr. par exemple : Proverbes 29, 25; 1 Maccabées 2, 62; 3, 22). Plus étonnante est la distinction entre corps et âme, une conception plus grecque que juive. (Le texte parallèle de Luc 12, 4-5 ne présente pas cette particuliarité alors que l'ouvre de Luc est ténéralement plus proche de la culture grecque que ne l'est celle de Matthieu). Est-ce l'influence du livre de la Sagesse (2, 23 - 3, 8) ? Il est difficile de répondre à cette question sur la base de ce seul verset. Pour bien saisir la portée de cette consigne, il faut la mettre en contraste avec la deuxième partie du verset : craignez plutôt. Nous reviendrons sur ce point plus loin dans ce commentaire.
Le troisième ne craignez pas (v. 31) conclut un bref développement sur la Providence divine (vv. 29-30). Les images des oiseaux et des cheveux montrent comment Dieu se préoccupent de toute sa création, même ce qui s'y trouve de plus petit et de plus fragile. À plus forte raison, il ne laissera pas tomber ses enfants, surtout ceux qui se consacrent à son service au péril de leur vie.
Craignez plutôt.... (v. 28b)
Dans la première partie du verset, le complément d'object direct du verbe ne craignez pas est au pluriel; celui de craignez est au singulier. Qui est donc celui qui peut faire périr à la foi l'âme et le corps ? Dieu seul possède de le pouvoir sur la vie et la mort : c'est Yahvé qui fait mourir et vivre, qui fait descendre au Shéol et en fait remonter (1 Samuel 2, 6; voir aussi : Deutéronome 32, 39; Tobie 13, 2). Ces textes proclament que Dieu peut faire surgir la vie, même de la mort; la parole de Jésus affirme que Dieu peut aussi perdre de manière définitive celui qui ne le craint pas. On retrouve ici une idée déjà présente dans l'Ancien Testament : Ainsi, les impies ne tiendront pas au jugement, ni les égarés à l'assemblée des justes (Psaume 1, 5; voir aussi : Dt 30, 15-20; Jr 17, 5-6 etc...). La crainte dont il s'agit n'est pas la peur face à un ennemi redoutable mais la vénération du fidèle devant le Dieu très saint : Ne craignez pas. C'est pour vous mettre à l'épreuve que Dieu est venu, pour que sa crainte vous demeure présente et que vous ne péchiez pas (Exode 20, 20). L'atmosphère est celle du jugement final lorsque le sort des justes et celui des impies sera fixé définitivement : et ils s'en iront, ceux-ci (les imies) à une peine éternelle et les justes à une vie éternelle (Mt 25, 46).
Celui qui se pronncera pour moi (v. 32)
La persévérance dans l'adversité, surtout lorsque la vie elle-même est menacée, représente un défi toujours difficile à relever. Pierre lui-même va renier son maître et ami devant les serviteurs du Grand Prêtre (Mt 26, 69-75). Par ailleurs, durant chaque période de persécution, il s'est trouvé des chrétiens qui n'ont pas pu tenir face à l'épreuve. L'attitude à adopter à leur égard, une fois l'épreuve passée, a suscité bien des débats. Le v. 33 semble pencher pour la sévérité. Mais il ne faut pas le lire hors de son contexte. Jésus veut d'abord encourager ceux qui sont placés devant un choix difficile Même si Dieu pourrait faire périr dans la géhenne aussi bien l'âme que le corps (v. 28b), Jésus est prêt à intervenir auprès de son Père en faveur des fidèles (v. 32) et le Père lui aussi veille sur chacun pour empêcher sa chute (v. 29). Si quelqu'un, malgré tout, en vient à renier sa foi, ce n'est qu'en dernier recours que Jésus le reniera à son tour devant le Père.
Le péché est entré dans le monde...
Romains 5, 12-15
Peu de textes de la Bible ont suscité autant de controverses. Cela tient aux difficultés grammaticales qu 'il contient et qui rendent sa traduction périlleuse, en particulier celle du v. 12. Surtout, le Concile de Trente l'a utilisé comme argument scripturaire pour démontrer l'universalité du péché originel (15e session, 17 juin 1546 : Décret sur le péché originel surtout no 2 et 4. Denzinger (Cerf 1996) no 1510-1516).
Paul développe un argument a fortiori. Partant du fait que le péché est partout présent dans l'humanité, et cela depuis les origines (v. 12), il met en évidence l'universalité du salut. Puisque la grâce est plus forte que le péché et la mort, ainsi le salut accompli par Jésus concerne tous les humains, sans égard à leur origine. Juifs et païens sont frappés par la mort en conséquence du péché et tous sont appelés à la vie par la résurrection de Jésus . La mort n'aura pas le dernier mot (v. 15).
J'ai entendu les menaces
Jérémie 20, 10-13
Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté ? (Actes 7, 52) La tradition a retenu que la persécution fait partie du sort de tout vrai prophète (voir, par exemple : Mt 5, 12). Celui dont les malheurs sont les plus connus est Jérémie. Lui-même s'est exprimé sur ses difficultés dans ses Confessions, de courts poèmes disséminés dans son livre (Jr 11, 18-23; 15, 10-21; 17, 14-18; 18, 18-23; 20, 7-18). L'extrait retenu par la liturgie prend des allures de psaume de supllication. Après avoir exposé les menaces qui pèsent sur lui ( v. 10), Jérémie affirme sa certitude du salut (v. 11), exprime sa demande (v. 12) et rend déjà grâce pour le secours reçu (v. 13). Le prophète ne montre pas beaucoup de miséricorde à l'égard de ses ennemis. La révélation du commandement de l'amour envers les persécuteurs ne viendra qu'avec Jésus, plusieurs siècles plus tard (Mt 5, 43-47). Jérémie demeure quand même un modèle du juste persécuté par sa fidélité dans l'épreuve et sa confiance inébranlable en Dieu.
Source: Le Feuillet biblique,
no 2149. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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