Se servir de l'argent ou servir l'Argent
La parabole du gérant habile : Luc
16, 1-13
Autres lectures : Amos
8, 4-7; Psaume
112(113); 1
Timothée 2, 1-8
La parabole du gérant astucieux peut paraître
déconcertante. Cela parce quon y dit clairement quil
était malhonnête, que le maître fait son éloge,
et que Jésus nous le présente comme modèle
Modèle de quoi? Quune parabole nous intrigue nest
pas embarrassant, mais plutôt stimulant.
Le gérant astucieux
Un homme est gérant dans un
grand domaine agricole pour un riche propriétaire rassasié
de biens. On laccuse de mauvaise administration, et constatant
ce que fait cet homme, on doit déduire que laccusation
sest avérée exacte. Le châtiment prévu
par le maître est de le démettre immédiatement
de ses fonctions. Ainsi, lui qui vivait sans trop de soucis affronte
maintenant une situation durgence. Cette information est capitale.
Habitué aux affaires, lhomme se met à réfléchir
sur la façon de sen sortir, dans le cadre du système
économique où il sest débrouillé
jusquà présent et quil connaît par
le dedans.
Il écarte deux solutions possibles
quil ne se sent pas capable dadopter : Travailler
la terre? Je nai pas la force. Mendier? Jaurais honte
(v. 3). Lhomme fait des plans pour une autre solution, plus
adroite. : créer de lintérêt pour lui-même
et chercher des complices. En dautres termes, parmi les débiteurs
du patron, faire de quelques-uns ses débiteurs à lui.
À celui qui devait au patron cent barils dhuile, le
gérant dit : Voici ton reçu; vite assieds-toi et
écris cinquante (v. 6). Puis, il fait la même chose
à un autre dont la dette passe de cent sacs de blé
à quatre-vingts. Certains commentateurs disent quun
pourcentage devait lui revenir de toute façon mais le récit
nappuie pas cette hypothèse. Il commet vraiment une
fraude. En fin de compte, le patron étant riche, la perte
de quelque mille deniers nétait pas excessive pour
lui. La mauvaise administration du gérant était un
préjudice plus grand et le patron voulait y mettre fin aussi
cher que cela dût lui coûter.
Une leçon dintelligence
La solution de dernier recours est
aussi fine que malhonnête; le patron admire lhomme ingénieux
qui suit la tradition de sagesse du milieu ambiant . Un dicton affirme
: Un homme avisé voit venir le malheur et se met à
labri. Les gens irréfléchis y donnent tête
baissée et le paient cher (Proverbes 22, 3). Il
est indéniable que cet administrateur était un homme
de talent. Il a usé habilement des quelques heures restantes
avant de perdre définitivement de son emploi. Devons-nous
ajouter une application pour notre propre compte? Les biens nous
ont été confiés par Dieu pour les administrer.
Il survient une situation durgence (le jugement de Dieu ?),
et la gestion va se terminer. Avec cet argent auquel sont liées
tant dinjustices petites et grandes, il faut se faire des
amis en remettant les dettes, en faisant des faveurs aux autres
qui sont des nécessiteux.
Conclusion non moins déconcertante
: Dieu lui-même, le patron victime de fraude, nous reçoit
dans sa demeure éternelle. Qui donne au pauvre prête
à Dieu (Proverbes 19, 17). La parabole se dénoue
dans sa finale. Si vous navez pas été dignes
de confiance avec lArgent trompeur, qui vous confiera le bien
véritable (v. 11). Il y a une prudence chrétienne
qui est folie aux yeux du monde, mais à la lumière
de lévangile, elle est supérieure : il existe
une prudence paradoxale.
Peut-on servir deux maîtres?
Une parole de Jésus demeure
dans toutes les mémoires : Aucun domestique ne peut servir
deux maîtres : ou bien il détestera le premier, et
aimera le second; ou bien il sattachera au premier, et méprisera
le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et lArgent
(v. 13). Un poète anglais du XVIIe siècle, Milton
a personnifié lArgent à partir du mot «
mamon » (argent en hébreu). De là vient lhabitude
dopposer les deux divinités Dieu et Mamon dans les
poèmes et les dictons populaires modernes. Le mot «
servir », en grec douleuein ou dièkonein,
est à remarquer. Il se trouve ailleurs dans un enseignement
de Jésus sur lui-même : Le Fils de lhomme
nest pas venu pour être servi mais pour servir (dièkonein)
et donner sa vie en rançon pour la multitude (Marc
10, 45). Là encore servir est associé à une
somme dargent que lon donne pour la liberté.
Il faut libérer un être aimé prisonnier de ses
ravisseurs.
La personne avant toute chose
Lexpression pratique de lattitude
évangélique enseignée ici se trouve dans ces
mille situations où il faut préférer les personnes
aux choses. Largent ne peut tout simplement lemporter
dans nos choix alors que le bien dune personne est en jeu.
Le chrétien, homme ou femme, entre en relation avec autrui
de manière à faire passer chacun avant lui. Ce nest
pas dabord son bien quil recherche mais celui des autres.
Dans les échanges, il privilégie les problèmes
des autres et non pas les siens. Dans sa manière dentrer
en relation, il exprime un profond respect dautrui. Jésus,
dans un style parfois rude, a fait sentir à des pêcheurs
de Galilée que ce quil leur donnait nétait
pas en vue dun avantage personnel de retour. La gratuité
de son style de vie a étonné.
Le disciple daujourdhui cherche
à ce que les personnes se réalisent elles-mêmes
et prennent conscience de leur dignité et liberté
denfants de Dieu. La cordialité simple et vraie quil
manifeste dans les relations exprime quelque chose de la Bonne Nouvelle
quil annonce. Dans sa manière daccueillir, il
cherche à libérer et non à posséder,
à écouter et non à exclure. De la sorte, il
donne à pressentir quelque chose du Royaume à venir,
dans un monde où les relations sont souvent marquées
par lintérêt, le profit, le jugement ou la domination.
Dautre part, en ne se recherchant pas lui-même et en
seffaçant, il rend possible lunion avec le Christ
de ceux quil rencontre. Parce quil ne fait pas acception
de personne, il met en valeur la dignité de chaque femme
et de chaque homme.
La remise de dettes dans la parabole du
gérant astucieux désigne sans doute également
le pardon des offenses qui était communément figuré
par labolition des dettes dargent. La prière
du Notre Père nous fait dire : Remets-nous nos dettes
comme nous remettons à ceux qui nous doivent (Matthieu
6, 12). La version française a remplacé « dettes
» par offenses pour faciliter la compréhension de la
personne qui prie. Jésus a souligné limportance
du pardon : il a repris cette demande et il a ajouté :
Si vous pardonnez aux autres le mal quils vous ont fait, votre
Père qui est au ciel vous pardonnera aussi. Mais si vous
ne pardonnez pas aux autres le mal quils ont commis, votre
Père ne vous pardonnera pas non plus vos péchés
(Matthieu 6, 14-15).
Saviez-vous que les Inuits ont quinze mots
pour désigner la neige? Eh bien! la Bible n'est pas en reste
car elle possède un vocabulaire très varié
pour exprimer la miséricorde. Cest la clémence,
la compassion, la pitié, la merci, la tendresse mais également
la remise de dettes et le pardon des offenses. La hesed du
Premier Testament se retrouve dans la nouvelle alliance sous le
mot grec de charis, la grâce, lamour dalliance,
pourrions-nous dire dans les langues modernes. Tous ces sentiments
se retrouvent en Dieu dabord et on les identifie ensuite chez
le croyant qui participe au pacte damour avec Dieu.
Source: Le Feuillet biblique,
no 2110. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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biblique de Montréal.
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