L'impossible
pardon?
Le
pardon entre frères (Matthieu 18, 21-35)
Autres lectures:Ben
Sirac le Sage 27, 30 - 28, 7; Ps 102 (103); Romains
14, 7-9
Dans la région de Québec au début de l'année,
une femme a causé la mort d'une fillette en la soumettant
à une longue douche froide. Elle a écopé d'une
peine de quatorze années de pénitencier. La sentence
prononcée, la mère de la petite aurait déclaré
: «Dans quatorze ans je serai là et je ne la laisserai
pas sortir ». Sans porter de jugement sur l'attitude de la
dame, une conclusion s'impose: pardonner ne va pas de soi, surtout
dans des circonstances aussi pénibles. Et même pour
les fautes mineures, le pardon n'est ni automatique ni naturel.
Aussi, beaucoup de chrétiens et de chrétiennes ressentent
un malaise à prononcer ces mots du Notre Père : «
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à
ceux qui nous ont offensés ». Si nous demandons
à Dieu de pardonner comme nous-mêmes, ça promet!
Notre parabole aide à dénouer
l'impasse. Il y est question de dettes. Une dette, dans le Nouveau
Testament, peut aussi désigner les fautes commises envers
le prochain. Traduit littéralement, le Notre Père
se lirait d'ailleurs : «Remets-nous nos dettes comme nous
les remettons nous-mêmes...» (Mt 6, 8). Dans la parabole,
un serviteur doit à son maître l'immense montant de
soixante millions de pièces d'argent. Autant dire qu'il n'arrivera
jamais à rembourser cette fortune. Le maître accepte
néanmoins de lui remettre la dette. Or, à peine le
dos tourné, le serviteur s'attaque à un de ses emprunteurs
et le fait jeter en prison. La dette de cet homme ne s'élevait
pourtant qu'à cent pièces d'argent! Voilà qui
soulève la colère du maître qui venait de poser
un geste d'une exemplaire bonté. L'intransigeance du serviteur
se retourne contre lui : il est livré aux bourreaux.
Quel portrait cette parabole donne-t-elle
de Dieu? 1- L'initiative du pardon vient de Dieu : le maître
est le premier à décider de remettre la dette. 2-
Le pardon de Dieu atteint des proportions démesurées.
Le montant de la dette est symbolique : il montre que Dieu pardonne
au-delà de l'imaginable. 3- Dieu pardonne afin d'inspirer
le pardon, d'inciter ses enfants à se montrer à leur
tour miséricordieux envers les autres. 4- Le refus de pardonner
empêche le pardon de Dieu de se réaliser vraiment.
C'est se condamner à une perpétuelle souffrance. Car
le pardon, même s'il n'a rien d'automatique et d'immédiat,
fait partie d'un processus de guérison.
La demande du Notre Père s'éclaire
à présent d'un nouveau jour. Il ne s'agit pas d'implorer
Dieu de pardonner à la manière humaine. La parabole
le montre bien : Dieu pardonne le premier et dans une mesure inconcevable
pour nous. Nous lui demandons plutôt de trouver dans son pardon
la force de pardonner comme lui. Ou peut-être plutôt
la force de nous approcher un tant soit peu de l'insondable richesse
de son pardon.
Jean Grou
Source: Le Feuillet biblique,
no 1892. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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