(photos © TSM)
Qasr el Yahoud pour évoquer le baptême
Claire Burkel | 3 juin 2019
Qu’êtes-vous allés contempler au désert ? (Mt 11,7). Une porte d’entrée en pèlerinage, voici ce que nous offre ce petit établissement à proximité de Jéricho, en plein désert.
L’endroit est de plus en plus fréquenté par les groupes de pèlerins ; il est aussi des plus anciens dans l’histoire chrétienne puisqu’il retentit avant l’apparition de Jésus comme messie. Des plus champêtres, dans les roselières du Jourdain, d’aménagement très simple sur la rive occidentale du fleuve. Un lieu à double face avec son pendant sur l’autre rive en Jordanie. C’est d’ailleurs ainsi que s’est ouvert le « château du juif » en arabe Qasr el Yahoud. Dès que le Royaume hachémite a autorisé les fouilles, les fondations de plusieurs églises byzantines des Ve et VIIe siècles ont été mises au jour témoignant de la vénération due au Baptiste et à la venue de Jésus (Mt 3,1-17 ; Mc 1,1-8 ; Lc 3,1-18 et Jn 1,19-34). C’est donc bien là que se tenait le Précurseur, faisant « entrer » en terre d’Alliance ceux qui venaient à lui, au gué du fleuve frontalier où étaient passés Josué et le peuple revenus d’Égypte.
Aujourd’hui, devant l’afflux de pèlerins côté jordanien, l’État d’Israël ne pouvait faire moins que d’ouvrir à la visite cette enclave désertique, no man’s land sévère depuis 1947. Visite, le mot est un peu exagéré. Il n’y a « à voir » que le fleuve entre ses deux berges et, sur le côté israélo-palestinien, une plage en lattes de bois à laquelle on accède par des escaliers ; la structure se prête bien aux processions à partir du promontoire où a été édifié un auvent pour des messes ou des lectures abritées du soleil.
Nombreux sont les groupes à venir en ce lieu, accessible depuis Jéricho, pour méditer sur le baptême conféré par Jean, reçu par Jésus au sein du peuple en attente ; des « baptistes » en robe blanche se plongent jusqu’aux épaules dans le fleuve, d’autres plus modestement font un geste de la main au front rappelant leur baptême ; le lieu retentit de chants liturgiques en toutes langues et des églises sont construites selon les rites latin, grec-catholique et orthodoxe. Pour chacun le passage peut être symbolique ou plus approfondi.
Le Messie ou celui qui le précède ?
C’est l’occasion de mieux comprendre le personnage du Précurseur. Il s’est habillé comme Élie le prophète du IXe siècle (1 R 1,8 ; Mt 3,4) afin de rendre manifeste la venue prochaine du Messie. Original et austère, il ne correspond à aucun autre personnage de l’Ancien Testament. La vie est si dure sous l’Occupation romaine qu’elle attise au sein du peuple l’impatience de voir arriver enfin le Promis. Des foules alors viennent de partout dans le pays pour l’écouter, se plonger dans le fleuve en reconnaissant leur péché et lui demander conseil pour changer de vie afin de mieux répondre à la volonté de Dieu (Lc 3,10). Que nous faut-il donc faire? On apprend par les textes qu’il a de nombreux disciples (Mt 9,14 ; 11,1 ; Mc 2,18 ; Lc 5,33) et jusque dans les années 50 on se réclame encore de lui à Éphèse (Ac 19,3-5) !
Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? (Mt 11,3) Il y a plus intéressant que de constater d’un air navré et vaguement déçu que même lui, le Baptiste, a douté de la mission de Jésus ; questionner n’est pas douter.
Jean dans sa prison – sans doute à Machéronte, un des nombreux domaines hérodiens – ne se berce d’aucune illusion : pour lui, tout est accompli. Il ne se préoccupe pas de son sort, ni même de savoir s’il a mené le bon combat, il se soucie de ses nombreux disciples : vont-ils se perdre à la recherche d’un autre maître ? Seront-ils comme les marcheurs d’Emmaüs défaits, assombris, sans espérance (Lc 24,21) ? Il s’est élevé tant de faux messies ! Ses disciples ne doivent pas errer, déboussolés par sa mort ; Jean veut les adresser à Jésus avec une question à laquelle lui seul saura répondre. Plus sûrement qu’avec un discours, il les oriente vers celui qu’il faut désormais et définitivement suivre.
En qui mettre sa confiance ?
Jésus comprend parfaitement la démarche et n’a pas un mot pour ce que nous pourrions percevoir comme une faiblesse de Jean ; au contraire : Parmi les enfants des hommes il n’en a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste ! Le Christ humblement laisse l’Écriture authentifier ce qu’il met en œuvre depuis plusieurs mois. Celui qui doit venir est reconnu à ses gestes de miséricorde parce qu’il vient montrer en chair et en os, en paroles et en actes, l’amour de Dieu pour tous, l’aveugle, le boiteux, le sourd, l’impur écartés de la vie commune. Après une telle affirmation chacun peut, en toute liberté, se déterminer : ouvrir son regard, éclairé par les prophètes, sur ce que donnent les mains de Jésus à ceux qui sont en attente, ou se fermer à cette compréhension nouvelle et s’en tenir strictement à la Loi sur le sabbat et les règles de pureté et passer à côté du Nazaréen révélant le Père (Is 43,19). Voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ?
Jésus rend alors hommage à Jean en lui donnant son rang dans le Royaume des Cieux. Il le revêt de la figure d’Élie, qui selon la tradition juive précédera et désignera le Messie. Si Jean est le nouvel Élie, Jésus est le Messie promis. La voie qui mène au salut, pour les disciples de Jean, est bien de mettre un nom sur sa personne : oint du Seigneur, élu de Dieu parmi les fils d’Israël. Jean n’a nullement douté. Sa question n’était posée qu’à l’intention de ses disciples. Il a marché en avant pour préparer les cœurs, frayer un chemin au Messie et n’a plus qu’à faire de ses disciples des disciples du Christ. Mieux qu’un sermon du prisonnier à ses fidèles, les paroles de Jésus font entrevoir quelle était la mission de Jean, sa portée inouïe. Ceux qui ont fait confiance à Jean sauront surmonter la mort de celui qui ne s’est jamais pris pour le Messie.
Réouverture du monastère
En janvier dernier, le site du patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem a annoncé la réouverture du monastère de Jean-Baptiste dans la zone de Bethabara, littéralement « la maison du gué ». C’est le monastère construit en surplomb de la vallée et depuis lequel démarrent les processions des Églises quand elles viennent commémorer le baptême du Seigneur sur les bords du fleuve. La tradition orthodoxe commémore également à cet endroit le passage des Hébreux conduits par Josué (Jos 3).
Le premier monastère édifié là l’aurait été, d’après les informations sur le site du patriarcat, lors du séjour de sainte Hélène en Terre Sainte (325-335). Il a été détruit et reconstruit à plusieurs reprises au cours des siècles. La dernière fois, c’était lors de la guerre de conquête israélienne en 1967.
Claire Burkel est professeure d’Écriture sainte à l’École cathédrale de Paris.
Source : Terre Sainte magazine 655 (2018) 6-11 (reproduit avec autorisation).